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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Chiara Conti/Unsplash

Culture de bouillon

Octave Larmagnac-Matheron publié le 30 mars 2023 4 min

Depuis quelque temps, Octave Larmagnac-Matheron a pris l’habitude d’utiliser la carcasse du (très occasionnel) poulet rôti dominical pour confectionner un bouillon. Il en tire quelques réflexions aussi culturelles que gastronomiques, en compagnie d’Auguste Escoffier, Claude Lévi-Strauss et même Alexandre Dumas…

 

« Le désir de remplir quelques jarres d’un bouillon de mon cru trouve moins, je le confesse, son origine dans un souci de ne rien jeter – du bout de carotte flétrissant dans les tréfonds du bac à légumes à la moelle tapie dans le secret de l’os – avant d’en avoir extrait l’ultime particule gustative, que d’une gourmandise. “Il n’y a pas de bonne cuisine sans bon bouillon”, remarquait Alexandre Dumas dans son Grand Dictionnaire de cuisine (1873). S’il est dégusté seul, il entre surtout dans la composition d’un nombre incalculable d’autres plats et sauces. “Les fonds de cuisine représentent la base fondamentale, les éléments de première nécessité sans lesquels rien de sérieux ne peut être entrepris”, ajoutait Auguste Escoffier dans son Guide culinaire (1903). Cela ne l’empêchera pas, lui, l’un des pionniers de la cuisine moderne, de collaborer avec Maggi pour mettre au point le célèbre bouillon Kub. Or, c’est justement pour me délecter d’un risotto aux cèpes qui n’ait pas le goût standardisé, toujours identique, des préparations du commerce, que je me suis lancé dans mes propres expérimentations alchimiques.

Je ne procède sans doute pas dans les règles de l’art. Je plonge dans l’eau frémissante ce qui reste dans le frigo ou sur les étagères – un morceau de céleri esseulé, un demi-oignon en bout de course, quelques branches d’un persil à l’aube de sa putrescence. La liste exacte des ingrédients compte moins que leur osmose, et moins que les règles élémentaires de la technique du bouillon : “Il faut que l’ébullition s’aperçoive à peine, afin que les diverses parties qui sont successivement dissoutes puissent s’unir intimement et sans trouble”, recommande Jean Anthelme Brillat-Savarin dans sa Physiologie du goût (1825). Pour le reste, mes bouillons ne sont astreints à aucune recette. Leur goût a chaque fois quelque chose de surprenant, d’inattendu. Ce goût lui-même évolue avec la fluidité subtile de l’eau qui s’écoule. Si j’oublie la marmite sur le feu une heure de plus (quel soulagement, rare en cuisine, de pouvoir oublier les choses !), il sera un peu réduit, un peu corsé. Si je le réchauffe le lendemain et y ajoute un peu de lard, son goût s’en trouvera changé. Le bouillon est ouvert à un mouvement toujours inachevé de transmutation. Et pourtant, quelque chose de commun subsiste, en dépit de ces incessantes variations. Il y a un goût de bouillon, ni jamais tout à fait pareil, ni jamais tout à fait un autre.

Tous les bouillons partagent certaines caractéristiques. Ils partagent du moins une modalité gustative particulière : plus que toute autre préparation culinaire, ils permettent le mariage intime, la fusion moléculaire de saveurs d’ordinaire dispersées d’un ingrédient à l’autre, encapsulées dans les limites solitaires d’une chair, d’une texture. Le bouillon aspire et brasse ces arômes disparates dans un fluide commun. De chaque chose, il “[extrait] les parties solubles” et en tire une “forme directe de la quintessence”, un compénétration parfaite des goûts, note Roland Barthes dans Le Bruissement de la langue (publié à titre posthume en 1984). À l’architecture différenciée d’un plat classique, qui suppose toujours de jongler entre les éléments, le bouillon, en chaque point, en chaque goutte identique à lui-même, substitue une homogénéité uniforme. Si Charles Fourier, le père de la “gastrosophie”, le qualifie de “soupe naturelle”, il y a quelque chose de nettement abstrait dans le bouillon, qui déconstruit la naturalité des ingrédients. “Le bouilli [est] du côté de la culture”, notait Claude Lévi-Strauss dans son modèle de triangle culinaire. “Réellement, puisque le bouilli requiert l’usage d’un récipient, objet culturel ; symboliquement, pour autant que la culture est une médiation des rapports de l’homme et du monde, et que la cuisson par ébullition exige une médiation (par l’eau).”

La plupart des sociétés possèdent, du reste, un type de bouillon qui leur est propre. “Point de départ auquel, incessamment, l’on revient”, selon Escoffier, ingrédient de base qui cependant n’est pas donné mais fait l’objet d’une préparation, le bouillon est la racine d’une culture culinaire d’abord populaire qui s’est un peu perdue chez nous. On l’associe volontiers à ces savoirs pratiques dont les grands-mères étaient souvent dépositaires. Pas les miennes, en l’occurrence – pourtant, je n’en ai pas moins l’impression de modestement renouer avec un héritage impersonnel lorsque, le dimanche soir, je filtre, à l’aide d’un dispositif ingénieux mais bancal, ma sapide liqueur. »

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