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Margaret Thatcher (incarnée par Gillian Anderson, à gauche) face à Élisabeth II (Olivia Colman, à droite) © Netflix

Philo en série(s)

“The Crown” ou le sacre du “non-agir”

Ariane Nicolas publié le 29 novembre 2020 5 min

Hail to the Queen ! La quatrième saison de la série The Crown est disponible sur Netflix depuis le 15 novembre. Centrée sur les années 1980, elle met principalement en scène deux intrigues : d’un côté, les relations tantôt étroites, tantôt orageuses, entre la Première ministre britannique Margaret Thatcher et Élisabeth II ; de l’autre, les difficultés de couple du prince Charles et de Lady Di, star en devenir qui vit un calvaire en privé. Les recettes du succès de cette série sont toujours là : décors soignés, actrices et acteurs de haut vol, savoureux jeux de piste avec l’histoire – la vraie –, qui donnent lieu à d’innombrables articles de fact-checking.  

Le pouvoir en question. Si cette nouvelle saison de The Crown relève un peu trop du soap-opera (que de problèmes de cœur, dans cette famille !), elle continue aussi de tisser une analyse de l’exercice du pouvoir outre-Manche. Pourquoi la reine semble-t-elle si peu agir ? Comment assoit-elle son pouvoir, si elle ne décide de rien ? Constitutionnellement, Queen Élisabeth n’a en effet pas le droit de s’immiscer dans les affaires du gouvernement. L’inaction serait-elle la clé de son succès ? Une référence philosophique venue non pas du Royaume-Uni mais de Chine peut nous aider à comprendre l’intérêt qu’elle trouve à ne pas trop s’activer. Il s’agit du taoïsme, qui fait du « non-agir » la valeur cardinale du souverain. S’il n’est pas certain que la reine Élisabeth ait lu les textes taoïstes, son exercice du pouvoir semble directement s’en inspirer. Petite mise en regard de ces textes anciens avec l’intrigue de The Crown, en forme d’éloge du farniente… politique. 

Élisabeth II, reine du farniente ?

Au commencement, était le vide. Dans la philosophie taoïste, tout naît à partir du vide. Le vide est le véritable moteur de l’action et le principe de toute existence : « Seul le non-être, en tant que négativité, peut être fécond », explique Jean Levi dans sa préface du Lao-Tseu (Albin Michel, 2017), l’un des principaux textes taoïstes – dont il est préférable de lire une version commentée, tant les formules originelles peuvent paraître opaques. Cette vision du monde s’applique également au souverain, qui doit suivre les préceptes du sage pour assurer sa domination : « Le souverain se doit d’être vide tout désir, de toute pensée et de toute intentionnalité […]. Homme sans qualités, il n’offre aucune prise à autrui, car il n’est rien d’autre que le miroir réfléchissant du néant. » Des préceptes qui font étrangement écho au mode de vie de la famille royale britannique. Vous trouviez que les balades de Sa Majesté en Écosse manquaient de relief ? C’est précisément ce que la reine recherche. Car, en ne faisant rien, elle se met au centre de tout : « Le souverain est un pivot, écrit Jean Levi. Et à l’instar de tout pivot, il remplit une fonction de régulation et de contrôle. À partir du milieu, il instaure l’ordre et la concorde jusqu’aux confins du monde. » Et cela a duré près de 70 ans.

Courage, ne décidons de rien !

« Je ne suis intéressée que par ma famille et celle du Commonwealth. Les garder unies est l’œuvre de ma vie », déclarait Élisabeth II dans l’épisode 8 de la série télévisée The Crown, diffusée sur la plateforme Netflix et assez fidèle, d’après les spécialistes, à la personnalité de la reine. C’est d’ailleurs ce que lui reproche sa fille Anne, dans la série : « Ne rien faire est votre solution à tout ? » Las ! Anne n’a vraisemblablement pas lu l’encyclopédie cosmologique Liu-che tch’ouen-tsieou (呂氏春秋), citée par Jean Levi : « Un monarque qui connaît l’art de gouverner suit le cours des choses sans jamais agir, il observe sans donner d’instructions. Il bannit les pensées, proscrit les idées. Il attend. Il ne parle pas à la place de ses sujets, il ne se charge pas de leur travail. » Une des difficultés de la reine est de savoir s’il faut agir de la même manière en public et en privé. Doit-elle parler à sa fille avec autant de distance qu’avec un membre de l’exécutif ? Lorsqu’elle tente d’imposer à Margaret Thatcher la condamnation de l’apartheid en Afrique du Sud, la Première ministre britannique se crispe : « C’est une directive… ? — Plutôt une question », glisse habilement son interlocutrice. Qui finira par l’emporter.

“Un art de la conformité au cours des choses”

Si Élisabeth est en quelque sorte la reine du « non-agir » taoïste, c’est aussi parce qu’elle pense que le monde n’a pas besoin d’elle pour avancer. Dans les Quatre Canons de l’empereur jaune (黃帝四經), texte taoïste associé au Lao-Tseu, ledit empereur proclame : « Les grandes choses se font d’elles-mêmes. » Il existe pour les taoïstes une intime solidarité entre l’ordre humain et l’ordre céleste. Le souverain sert de médiateur entre le Ciel et la Terre, c’est-à-dire entre la nature et la société : « Il fait circuler dans le corps social le rythme de la nature », de sorte que « gouverner devient un art de la conformité avec le cours des choses », selon Jean Levi. Go with the flow, dit-on en anglais. Mais comment savoir si l’on n’est pas en décalage avec son temps ? Comment bien épouser son époque ? C’est un travail d’ajustement qui occupe sans cesse la royale équipée. D’où le trouble provoqué par Diana… La jeune femme semble plus moderne que sa belle-famille, ce qui constitue une double menace : elle ringardise la Couronne mais pourrait également ébranler ce qui semblait faire sa force, c’est-à-dire sa distance et sa rigidité. Lors d’un glaçant dîner, Élisabeth II, sa sœur Margaret et Anne intriguent : « La Couronne survit et garde son importance en évoluant avec le temps, non ? », se demande la reine. Faut-il s’adapter à la modernité de Diana ou faire rentrer la princesse dans le moule ? La princesse Margot tranche : « Quand Diana pliera, elle trouvera sa place. — Et si elle ne plie pas ? — Elle se cassera. » De fait, elle s’est cassée. 

Pour l’éternité

L’inaction de la reine Élisabeth est hantée, comme dans le Lao-Tseu et les Quatre Canons, par la peur de la perte. Perte des traditions, perte des pays du Commonwealth, perte de « l’intégrité »du pays qu’elle dirige si sa famille en venait à se disloquer. « Chaque choix, en même temps qu’il obéit à une nécessité vitale, est le signe d’une perte irrémédiable, chaque option sanctionnant la perte d’une virtualité », détaille Jean Levi à propos du « non-agir » taoïste. Si le souverain prend une décision, il risque de mécontenter une partie de la population. Plus il sera « impartial », et moins il risquera de nuire à sa tâche. Car, sur le long terme, tout finit toujours par s’arranger, ou du moins par rentrer dans l’ordre. C’est l’action qui sème le trouble et qui risque de déstabiliser la Couronne, comme elle le dit elle-même dans une bouffée d’optimisme : « Le chômage, la récession, les crises, la guerre. Ces histoires s’arrangent toutes seules. » À l’échelle des siècles, les crises ne semblent pas peser lourd face au poids de la Couronne, seul élément dont la permanence semble vraiment valable. Contrairement à la reine, Diana semble, elle, s’être épuisée dans l’action. Elle s’est épuisée à vouloir tout concilier, son rôle de mère, ses activités humanitaires, sa reconstruction sentimentale « post-divorce ». Autant d’« options » qu’elle a choisies pour reprendre le pouvoir sur sa vie, et qui ont fini par la conduire à sa propre perte. C’est le choix exactement inverse qu’aura fait Élisabeth et qui lui aura permis de marquer durablement l’Angleterre du fond de sa perpétuelle réserve : ne jamais donner l’impression de trancher, n’offrir aucune prise aux autres, « n’être rien d’autre que le miroir réfléchissant du néant ». Pour d’autant mieux faire durer la Couronne.

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