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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Paris, 31 janvier 2023  © Maeva Destombes / Hans Lucas.

Comment est ta peine ?

Clara Degiovanni publié le 02 février 2023 3 min

Pourquoi le travail peut-il autant faire souffrir celles et ceux qui s'y impliquent ? Dans son édito du jour, Clara Degiovanni tente d'apporter une réponse à cette question que l'on s'est forcément posée un jour.


« Hier, une copine avocate m’a confié qu’elle vomissait souvent de fatigue après le travail. La semaine dernière, une autre amie designer m’a dit qu’elle s’enfermait parfois dans les toilettes de son entreprise pour pleurer, ou simplement pour fermer les yeux quelques instants avant de retourner au bercail.

Je ne compte plus non plus mes anciens camarades de classe préparatoire – dont beaucoup sont profs – qui me font état de leur épuisement et de leurs angoisses. Burn-out, pré-burn-out : en ce début d’année, j’ai l’impression que cette souffrance au travail est partout. Elle se ressent dans les nerfs, dans la qualité du sommeil, dans les muscles. Une enquête publiée par l’Ifop, fait état des maux de dos – qualifiés de “troubles musculo-squelettiques” – qui touchent 69 % des salariés français.

Ce n’est sans doute pas un hasard si une racine possible du mot “travail” vient du latin tripalium qui désigne un instrument de torture, comme le rappelait mon collègue Michel Eltchaninoff dans l’infolettre de mardi. Mais on le définit également au XIIe siècle comme “la peine supportée”, renvoyant en ce sens à une idée de passivité. Il est ce que l’on subit sans pouvoir y faire grand-chose. Ce travail nous travaille au corps. Tout comme il change la matière en objet, il transforme aussi celui qui l’exécute. Cette évolution peut être féconde et développer certains de nos talents, mais elle peut aussi nous abîmer, nous courber, nous blesser, voire nous anéantir. En sortant de l’usine, la philosophe Simone Weil se disait ainsi “vidée de toute énergie vitale, l’esprit vide de pensée, le corps submergé de dégoût, de rage muette”. Ce qui l’animait par-dessus tout était “un sentiment d’impuissance et de soumission”. La peine était en l’occurrence infligée de l’extérieur.

Néanmoins, contrairement aux ouvriers d’usine dont parle Weil, toutes les personnes que j’évoquais plus haut ont choisi leur métier. Elles le font, si ce n’est par vocation, du moins par passion. Elles sont récemment arrivées sur le marché du travail remplies d’énergie et avec des idées à revendre. Et pourtant, elles se vident petit à petit de leur force. Si elles s’épuisent autant, c’est notamment parce qu’elles sont souvent prêtes à sacrifier une grande partie de leur vie pour leur carrière. Peu à peu, le métier rogne, voire piétine leur existence. Par exemple, une autre amie me disait hier que ses journées de douze heures lui semblaient plutôt tolérables “parce qu’elle avait pris l’habitude d’être exploitée”. Ici, la peine n’est plus seulement celle que l’on subit parce qu’on n’a pas le choix, mais aussi celle que l’on accepte de s’infliger à soi-même et que l’on apprend – parfois – à apprivoiser. C’est ce qui est inquiétant pour les personnes particulièrement dévouées à leur travail : elles sont prêtes à se donner énormément de peine.

J’ai aussi cette tendance à accorder une importance démesurée au travail. Mais je possède un garde-fou assez puissant : le souvenir d’une période où je m’y suis oubliée. Quand je cherche à me rappeler cette époque, je ne pense pas à un burn-out, mais plutôt à un black-out. Je ne me souviens pas d’une seule émotion qui m’était propre, d’un seul sentiment concernant ma vie privée – et non mon métier. Ce que je faisais, ce dont je parlais, ce que je ressentais, était uniquement lié au travail. Ce n’est pas qu’on me faisait de la peine ni que je m’infligeais de la peine : c’est que je n’arrivais même plus à la repérer. J’étais profondément à la peine, sans avoir de peine.

J’ai repensé à cette période lors des manifestations contre la réforme des retraites. Cela m’a rassurée de voir autant de gens s’indigner contre ce projet de réforme, mais aussi contre la pénibilité de leurs conditions de travail. Si l’on crie sa peine dans la rue, c’est que l’on est encore capable non seulement de la reconnaître et de la déplorer, mais aussi, et surtout, de la combattre. »

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