Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Mara Widcoq © Julie Balagué

Intensément vulnérables

Éric Fiat, propos recueillis par Nicolas Gastineau publié le 22 octobre 2019 16 min

Une infirmière de nuit, un hyperéveillé, une malade frappée d’épuisement, un marin en solitaire et un DJ témoignent ici de leurs rapports singuliers au repos. Auteur d’une Ode à la fatigue, le philosophe Éric Fiat commente leurs parcours.

« La fatigue appartient à la condition humaine. Dans l’essence de l’homme et plus que chez tous les autres vivants, il y a quelque chose qui le voue à la fatigue. La fleur perd ses pétales mais ne se fatigue pas. Parce qu’il a une intériorité, qu’il ressent la douleur, l’animal ne se contente pas de se faner et de s’étioler, il connaît la fatigue – mais ne s’épuise pas. Riche en instincts, il vient au monde avec le mode d’emploi du monde, de sorte qu’il trouve les chemins de sa vie sans guère les chercher. Si bien que j’oserai parler – audacieux concept – d’une peinardité animale. Une fois ses besoins satisfaits, regardez le chat se lover dans l’immanence, se reposer dans l’être, s’endormir alors qu’il n’est peut-être même pas fatigué. Dormir, c’est se délester de soi, entrer dans une étrange sphère d’oubli, et le chat y parvient avec une facilité déconcertante. Pas l’homme, qui est travaillé par une inquiétude, par un questionnement permanents. Pauvre en instincts, il vient au monde sans le mode d’emploi du monde, cherche longtemps les chemins de sa vie sans les trouver. Il fait le dur et fatigant métier d’exister. L’humanité n’est pas dans l’homme comme la circularité dans le cercle ou la roséité dans la rose : c’est une tâche, problématique, toujours différée. C’est pourquoi la fatigue n’est pas qu’un dysfonctionnement, une pathologie, l’affaire des médecins. Il est normal d’être fatigué quand on est homme.

Cela ne m’empêche en rien de dénoncer les terribles fatigues (le burn-out) que le néolibéralisme engendre chez tant de nos contemporains. Mais je ne saurais faire l’éloge de la paresse, parce qu’il me semble que vit mal celui qui évite toute fatigue. S’épargner, se réserver, s’économiser ne me paraissent pas des remèdes à la fatigue, mais, au contraire, ses symptômes. Aristote identifiait la vitalité à la générosité, et je crois que qui aime la vie prend le risque de la dépense de soi et de ses forces. Bien sûr, il ne s’agit pas de se mettre en danger : la générosité n’est pas la prodigalité. Cependant n’y a-t-il pas quelque chose de beau dans le fait de se fatiguer pour les autres ? Si, à la fin de ma vie, mes rides, mes poches sous les yeux, la courbure de mon corps étaient indices des efforts que j’aurais faits pour aider mes aimés à faire le dur métier d’exister, pour les alléger, alors je n’aurais pas vécu en vain. »

 

“Dans le monde du soin, être fatigué est inconcevable”
_Mara Widcoq

Infirmière de nuit en réanimation néonatale à Montreuil (Seine-Saint-Denis)

« Dans l’univers hospitalier, la fatigue est un tabou. On doit se mettre en mode warrior, ne jamais se plaindre. Qui dit ‘‘fatigue’’, dit concentration moindre, retard des soins, possibilités d’erreur. Donc, c’est inconcevable. J’ai obtenu mon diplôme en 2003. J’ai tout de suite opté pour la nuit, parce qu’il y a dans les hôpitaux, le jour, une effervescence qui me dérange un peu. La nuit, il n’y a plus quatre ou cinq médecins par service, mais un seul. La présence administrative est suspendue. En réanimation néonatale, on travaille douze heures d’affilée. Comme nos patients sont des bébés qui ne parlent pas, il faut être vigilant. On reste debout pendant douze heures à faire le tour des chambres, pour surveiller leur état sur le scope, leurs fréquences cardiaque, respiratoire. Quand on a fini, on recommence. Il y a parfois des réanimations très lourdes, avec, pour nous, des décharges d’adrénaline massives, et il est impossible de s’endormir après ces nuits-là. La dimension humaine de ce service m’intéresse également, car il faut accompagner les parents. Avoir un enfant, c’est projeter sur lui des espoirs. Mais quand l’accouchement se passe mal, je trouve important d’aider les jeunes parents à traverser cette épreuve. Dans les bonnes semaines, je travaille deux nuits, puis j’ai deux nuits de repos. Mais avec les réductions d’effectifs, il m’arrive souvent d’assurer des semaines de cinq nuits. J’ai eu trois enfants, dont des jumeaux. Au niveau de l’organisation, mon mari et moi nous sommes passé le relais. Le matin, je rentre et m’occupe de mes enfants. Puis je me mets au lit à 10 heures. Même en tirant les rideaux, il m’est devenu difficile de dormir plus de quatre heures. Et encore, pas en continu – je me tourne d’un côté puis de l’autre jusqu’à 14 heures. Mon corps a souffert de ce rythme, j’ai fait un cancer du sein. Des études montrent d’ailleurs que ce cancer est plus fréquent chez les femmes qui travaillent la nuit à cause du dérèglement hormonal. Les médecins m’ont recommandé de changer de rythme. Mais mon service ne permet pas de travailler uniquement le jour, et j’aime tellement ce que j’y fais, je me sens tellement utile, que j’ai du mal à tourner la page. » 

Expresso : les parcours interactifs
Faire l’amour
Que fait-on quand on fait l'amour ? Tentons-nous de posséder une part de l'autre, ou découvrons-nous au contraire son mystère, sa capacité à nous échapper sans cesse, faisant redoubler notre désir ?
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
12 min
Alexandre Lacroix : “Nos sexualités sont encore cadenassées par un script sexuel dominant”
Ariane Nicolas 26 mai 2022

Dans son nouvel essai Apprendre à faire l’amour (Allary Éditions, 2022), le philosophe, écrivain et directeur de la rédaction de Philosophie…

Alexandre Lacroix : “Nos sexualités sont encore cadenassées par un script sexuel dominant”

Entretien
11 min
Éric Fiat : "La vraie morale se moque 
de la morale"
Sven Ortoli, Octave Larmagnac-Matheron,

Contrairement aux moralistes du Grand Siècle, ses contemporains, Pascal ne se complaît pas dans la noirceur. Il s’efforce de comprendre les faiblesses de la condition humaine, dont il ne s’exempte pas. Et il le fait dans une langue «…


Article
5 min
Alexandre Lacroix : “Ce que les enfants apportent à l’adulte, c’est l’accès au présent”
Martin Legros 23 septembre 2020

Dans son nouveau livre, La Naissance d’un père (Allary Éditions), le directeur de la rédaction de Philosophie magazine Alexandre Lacroix fait le…

Alexandre Lacroix : “Ce que les enfants apportent à l’adulte, c’est l’accès au présent”

Article
12 min
Voyage autour d’une Terre vulnérable
Nicolas Villaume, Alexandre Lacroix, 15 août 2023

Si les concepts de réchauffement climatique ou de crise écologique peuvent sembler abstraits ou écrasants, la photographie permet de les rendre…

Voyage autour d’une Terre vulnérable

Article
5 min
Georges Vigarello : “Nous sommes fatigués car nous accordons davantage d’importance à notre intériorité”
Marion Rousset 17 décembre 2021

La « fatigue » est l’un des trois sentiments dominants chez les Français, avec « l’incertitude » et « l’inquiétude »…

Georges Vigarello : “Nous sommes fatigués car nous accordons davantage d’importance à notre intériorité”

Article
3 min
La fatigue de la conscience avec Levinas
Emmanuel Levinas 09 février 2023

C’est à Levinas (1906-1995) que l’on doit d’avoir le premier – et peut-être avec le plus d’acuité – décrit le vécu de la fatigue. Pour le philosophe, la fatigue est un « décalage de l’être par rapport à ce à quoi il reste attaché » – l…


Article
4 min
Un paradis lézardé : une nuit avec Éric Fiat
Éric Fiat 08 février 2023

Le pays de mes nuits fut, longtemps et pour parodier Baudelaire, le vert paradis des sommes enfantins, l’innocent paradis plein de plaisirs furtifs…

Un paradis lézardé : une nuit avec Éric Fiat

Le fil
11 min
Éric Fiat : “La mort ne peut pas être un bien”
Éric Fiat 05 avril 2023

Alors que la Convention citoyenne vient de remettre son rapport sur la fin de vie et préconise l’ouverture à « l’aide active à mourir », une grande…

Éric Fiat : “La mort ne peut pas être un bien”

Article issu du magazine n°134 octobre 2019 Lire en ligne
À Lire aussi
Visions extatiques
Par Michel Eltchaninoff
septembre 2012
Jean-Dominique de Korwin : “La fatigue chronique n’est pas un trouble mental”
Par Michel Eltchaninoff
octobre 2019
Byung-Chul Han : la pandémie de la fatigue
Byung-Chul Han : la pandémie de la fatigue
Par Byung-Chul Han
mars 2021
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Intensément vulnérables
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse