Clotilde Leguil : “La soumission chimique est le stigmate du renoncement au désir”
Dans la nuit du 14 au 15 novembre 2023, le sénateur Joël Guerriau invite à son domicile la députée Sandrine Josso et lui fait boire à son insu un « cocktail » de champagne et d’ecstasy. Comment expliquer ce recours à une substance chimique dans les agressions sexuelles ? Entretien avec la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil, qui a récemment fait paraître aux PUF L’Ère du toxique. Essai sur le nouveau malaise dans la civilisation.
Comment interprétez-vous l’affaire Joël Guerriau ?
Clotilde Leguil : Il s’agit clairement d’un abus, en vue d’une violation, dans un contexte précis qui ne relève en rien de l’énigme du désir mais de l’exercice d’un pouvoir. Mon livre sur L’Ère du toxique aborde le sens métaphorique du terme « toxique », qui s’est imposé dans le discours contemporain. Ce terme rend compte d’une expérience subjective où le sujet s’éprouve touché par un discours qui en vient pourtant à mettre à mal son désir. Dans cette affaire, il est question d’user du toxique comme substance pour abuser de l’autre.
L’agresseur a utilisé de l’ecstasy pour droguer son invitée. Quel sens peut-on attribuer à ce geste ?
On pourrait dire qu’il s’agit d’un renoncement à toute tentative de séduction par la parole, d’un renoncement au mystère de la rencontre et du surgissement du désir, d’une trahison du pacte de parole. Il ne s’agit pas ici d’une proposition de partager une expérience – du type « prenons ensemble de l’ecstasy » –, mais de tenter d’abuser de la confiance de l’autre en agissant immédiatement sur ses sensations, sans son consentement. Freud notait déjà dans Le Malaise dans la civilisation [1930] cette tentation de faire d’un autre son objet sexuel sans se préoccuper du désir de celui-ci. C’est aussi ce que la psychanalyse met au compte de l’agressivité et donc de la pulsion de mort, exercée à l’endroit d’un autre. Ici il est question d’un forçage et d’une véritable intrusion via l’inoculation d’un produit à l’insu de l’autre.
Quatre penseurs et praticiens vous dévoilent leur méthode pour se recentrer – ou se démultiplier sans se perdre. Avec Clotilde Leguil, l’attention flottante propre à l’analyse.
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