Cicatrices iraniennes
Il faut croire qu’il est parti pour durer, ce mouvement de révolte. Malgré l’annonce samedi de la suppression de la police des mœurs, analysée par la plupart des observateurs de l’Iran comme de la poudre aux yeux, un appel à la grève a été lancé dans tout le pays pour trois jours à partir de lundi. Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée nationale des étudiants, ce sont les facs qui cristallisent la protestation.
« Chaque année, cette journée commémore la mort de trois étudiants de l’université de Téhéran le 7 décembre 1953 lors de manifestations contre le régime du Shah, parvenu au pouvoir quelques mois plus tôt par un coup d’État. Depuis, le 7 décembre est devenu une journée symbolique de revendications démocratiques dans les universités.
C’est étrange comme la protestation étudiante paraît à la fois familière, et à mille lieux du caractère festif et joyeusement bordélique que revêtent parfois chez nous les grèves et occupations de fac. Pour la familiarité : les graffitis politiques dans les toilettes, sur les murs et les couloirs, les “ateliers” banderoles et tout de même une certaine joie à être ensemble que l’on sent sur les quelques vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux. À défaut de pouvoir s’exprimer librement, la parole s’empare des murs, et les étudiants se galvanisent en partageant les photos d’inscriptions sur des boucles Telegram. Mais la similitude s’arrête là.
Comme le décrit Shirin [le prénom a été modifié], une étudiante téhéranaise que j’avais contactée pour la première fois en octobre, quelques semaines après la mort de Mahsa Amini et le vaste mouvement de révolte qui s’est ensuivi, la terreur est partout. Shirin me confie rester en retrait, tant la répression l’effraie. Elle suit la mobilisation sur les chaînes Telegram créées par les étudiants, notamment celle de son université, mais l’administrateur s’est soudainement arrêté de poster le 15 novembre. “Il a probablement été arrêté, ou renvoyé, dans le meilleur des cas”, s’inquiète Shirin. “Et c’est comme ça tous les jours : des gens disparaissent pendant un temps, puis on apprend qu’ils sont morts, probablement sous la torture, et ont été enterrés le plus discrètement possible.” Ne reste alors que les murs pour rappeler leur mémoire et le visage souriant qu’ils pouvaient arborer avant les sévices de la police.
Il y a quelque chose de poignant dans ces graffitis, qui peuvent certes rappeler les affiches et inscriptions tant associées à la révolte étudiante de Mai 68, mais qui m’évoquent davantage des tags de prisonniers coincés entre les quatre murs de leur cellule. On y lit l’emblématique slogan du mouvement, “Femme, vie, liberté”, ou encore le nom de Mahsa Amini signé des “étudiants du premier semestre”. Les anthropologues Joël Candau et Philippe Hameau ont consacré un article aux inscriptions carcérales qu’ils qualifient de “cicatrices murales”. Si le prisonnier cherche tant à graver quelque chose sur les murs qui l’enserrent, c’est aussi parce que ces derniers constituent précisément ce qui les sépare de l’extérieur, la couche plus ou moins mince qui les prive d’une normalité perdue (ou jamais goûtée, dans le cas des étudiants iraniens). On cherche d’ordinaire à cacher, effacer les cicatrices. Celles-ci devraient au contraire nous hanter. »
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