Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Noam Chomsky en 2014. © Uli Deck/dpa/AFP

ChatGPT, Chomsky et la banalité du mal

Martin Legros publié le 13 mars 2023 4 min

Dans une tribune parue dans le New York Times, le philosophe et linguiste Noam Chomsky balance du lourd contre le robot de conversation ChatGPT, qu’il accuse de disséminer dans l’espace public un usage dévoyé du langage et de la pensée susceptible de faire le lit de ce que Hannah Arendt appelait “la banalité du mal”. Voilà une charge qui mérite d’être examinée.

 

« C’est une question essentielle que soulève Noam Chomsky dans la tribune qu’il a publiée avec Ian Roberts, linguiste à l’université de Cambridge, et Jeffrey Watumull, philosophe spécialiste d’intelligence artificielle. Une question qui touche à l’essence du langage, de la pensée et de l’éthique. Dans la confrontation avec l’intelligence artificielle, affirment-ils, c’est le propre de l’intelligence humaine qui apparaît et qui doit être préservé : si nous sommes capables, nous les hommes, de générer de la pensée et du langage, c’est que nous entretenons un rapport intime et fondamental, dans notre créativité même, avec la limite, avec le sens de l’impossible et de la loi. Or, la “fausse promesse” de l’intelligence artificielle, selon le titre de la tribune, est de nous faire miroiter qu’il serait possible d’obtenir les mêmes performances en se passant de cette confrontation à la limite et à la règle qui fait le ressort de l’expérience humaine. Tentons de suivre cette démonstration, hautement philosophique.

On comprend que Chomsky se soit senti mis en demeure de se pencher sur les nouveaux robots conversationnels tels que ChatGPT, Bard ou Sydney. Fondateur de l’idée de grammaire générative, le philosophe soutient en effet que les hommes disposent avec le langage d’une compétence à nulle autre pareille, une puissance intérieure de générer et de comprendre, grâce à un nombre fini de règles, un nombre infini de propositions qui expriment leur pensée. Or, quand ChatGPT parvient à générer des réponses sensées à nos questions sur la base des millions d’énoncés que le système a appris automatiquement, qui dit que le robot ne parle et ne pense pas à son tour ? Qu’il ne génère pas du langage et donc de la pensée ? La réponse de Chomsky est profonde et subtile. Elle part, comme souvent chez lui, d’un petit exemple grammatical : “John is too stubborn to talk to.” Tout locuteur anglais lambda comprendra immédiatement le sens de cette phrase sur la base de sa connaissance de la langue et de la situation dans laquelle elle est proférée. Elle signifie : “John est trop têtu pour qu’on le raisonne.” Où John, sujet initial, bascule implicitement en complément d’objet, et où le “talk” signifie “raisonner” et non pas “parler”. L’IA, elle, sera induite à comprendre : “John est trop têtu pour parler à quelqu’un.” Parce qu’elle n’a pas accès à la règle ni à la situation, elle cherche en effet à prédire la bonne signification d’un énoncé sur la base du plus grand nombre d’occurrences analogiques. Mais de même que “John a mangé une pomme” équivaut souvent à “John en a mangé”, de même, “John est trop têtu pour parler” a des chances de vouloir dire “John est trop têtu pour parler à quelqu’un” davantage que “pour qu’on le raisonne”.

Au vu des performances des nouveaux logiciels de traduction, tels que DeepL – dont j’ai d’ailleurs dû m’aider pour être sûr de bien comprendre l’exemple de Chomsky –, on pourrait être tenté de relativiser cette confiance que fait ici le philosophe dans l’intelligence humaine du langage. Mais le raisonnement monte en puissance quand il touche à la loi, scientifique ou éthique. Soit l’énoncé “la pomme tombe” ou “la pomme tombera”, formulé après que vous avez ouvert la main ou que vous envisagiez de le faire. Une IA est à même de formuler chacune de ces deux propositions. En revanche, elle sera incapable de générer l’énoncé : “La pomme ne serait pas tombée sans la force de la gravité.” Car cet énoncé est une explication, c’est-à-dire une règle qui délimite le possible de l’impossible. On tient là pour Chomsky la ligne de partage entre les deux intelligences. En dépit de la puissance d’apprentissage et de calcul phénoménal qui est la sienne, l’intelligence artificielle se contente de décrire et/ou de prédire à partir d’un nombre potentiellement infini de données, là où l’intelligence humaine est capable, avec un nombre fini de données, d’expliquer et de réguler, c’est-à-dire de délimiter le possible et l’impossible. Notre intelligence ne se contente pas définir ce qui est ou ce qui pourrait être ; elle cherche à établir ce qui doit être.

Cette approche a une portée éthique évidente. Car la morale consiste à “limiter la créativité autrement illimitée de nos esprits par un ensemble de principes éthiques qui déterminent ce qui doit être et ce qui ne doit pas être (et bien sûr soumettre ces principes eux-mêmes à une critique créative)”. À l’inverse, comme en attestent les réponses produites par ChatGPT aux questions éthiques qu’on lui pose, et qui se réduisent à une recension des différentes positions humaines, l’IA trahit une “indifférence morale”. Et Chomsky de conclure : “ChatGPT fait preuve de quelque chose comme la banalité du mal : plagiat, apathie, évitement […] Ce système offre une défense du type ‘je ne fais que suivre les ordres’ en rejetant la responsabilité sur ses créateurs.” Pour en avoir le cœur net, je suis allé demander à ChatGPT s’il connaissait l’idée de banalité du mal et s’il se sentait concerné. Voilà ce qu’il m’a répondu : “Il est vrai que je suis un outil créé par des humains, et par conséquent, je peux refléter les limites et les biais de mes créateurs et des données sur lesquelles je suis entraîné.” Une intelligence servile et sans pensée, c’est en effet une bonne définition de la banalité du mal. Et de l’intelligence artificielle ? »

Vous pouvez également retrouver nos billets dans votre boîte aux lettres électronique en vous abonnant gratuitement à notre infolettre quotidienne.

Expresso : les parcours interactifs
Popper et la science
Avec Popper, apprenez à distinguer théorie scientifique et pseudo-sciences, pour mieux débusquer les charlatans et (enfin) clouer le bec à ce beau-frère complotiste !
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
3 min
Noam Chomsky, ChatGPT et la banalité du mal
Martin Legros 23 avril 2023

Le philosophe et linguiste Noam Chomsky dénonce la « fausse promesse » de l’intelligence artificielle qu’il accuse de diffuser un usage…

Noam Chomsky, ChatGPT et la banalité du mal

Article
16 min
Leibovici et Mréjen : “Ne plus se sentir responsable de ce que l’on fait, voilà le ressort de la banalité du mal pour Arendt”
Martin Legros 06 octobre 2021

Dans le passionnant Cahier de l’Herne qu’elles ont dirigé, Martine Leibovici et Aurore Mréjen ont rassemblé un très grand nombre de textes et d…

Leibovici et Mréjen : “Ne plus se sentir responsable de ce que l’on fait, voilà le ressort de la banalité du mal pour Arendt”

Entretien
19 min
Noam Chomsky : “Il est évident qu’il existe une nature humaine”
Martin Legros 16 février 2017

De passage à Paris au lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le célèbre linguiste et philosophe Noam Chomsky, qui est aussi un critique véhément de la propagande des médias et de l’impérialisme américain…


Article
1 min
Rencontre avec Noam Chomsky
29 novembre 2016

Rencontrez Noam Chomsky à l’occasion de la remise de la médaille d’or de l‘International Society of Philology. À l’issue de cette intervention…

Rencontre avec Noam Chomsky

Article
14 min
Noam Chomsky : “Un moment unique dans l’Histoire”
Noam Chomsky 28 septembre 2020

Conscience critique de la démocratie américaine, dénonçant inlassablement l’impérialisme, la propagande des médias et la collusion du capitalisme et des institutions internationales, le linguiste et philosophe Noam Chomsky propose de…


Bac philo
2 min
Le langage
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

Qu’est-ce que le langage ? Objet de la linguistique, le langage peut d’abord être étudié comme un système de signes qui associe des mots (puisés dans un lexique) selon des règles grammaticales précises (établies par une syntaxe). On s…


Article
3 min
[Exclusif] Hannah Arendt : “La cybernétique et la révolution du travail”
Hannah Arendt 05 octobre 2021

À l’occasion de la publication du Cahier de l’Herne consacré à Hannah Arendt et dirigé par Martine Leibovici et Aurore Mréjen, nous publions avec…

[Exclusif] Hannah Arendt : “La cybernétique et la révolution du travail”

Article
4 min
[Exclusif] Hannah Arendt : “Avoir l’esprit politique, c’est se soucier davantage du monde que de nous-mêmes”
Hannah Arendt 07 octobre 2021

À l’occasion de la publication du Cahier de l’Herne consacré à Hannah Arendt et dirigé par Martine Leibovici et Aurore Mréjen, nous publions avec…

[Exclusif] Hannah Arendt : “Avoir l’esprit politique, c’est se soucier davantage du monde que de nous-mêmes”

À Lire aussi
Anders-Arendt : scène de la vie conjugale
juillet 2022
Intelligence humaine-intelligence artificielle : réconciliation impossible ?
Quand l’intelligence artificielle entre dans nos vies… et dans nos têtes
Par Charles Perragin
février 2024
Hannah Arendt et le mal impensé
Par Martin Legros
septembre 2023
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. ChatGPT, Chomsky et la banalité du mal
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse