Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Charles Melman. © DR

Hommage

Charles Melman, le psychanalyste qui a diagnostiqué une nouvelle économie du désir

Stéphane Thibierge publié le 17 novembre 2022 5 min

Figure importante du milieu analytique français, élève de Lacan, le psychanalyste Charles Melman (1931-2022) est décédé le mois dernier. Le psychanalyste Stéphane Thibierge l’a bien connu. Dans un texte d’hommage, il revient sur la grande mutation culturelle qu’il avait diagnostiquée, qui nous a fait passer d’une économie du désir à une économie de la jouissance.

 

Le 20 octobre dernier disparaissait Charles Melman, psychanalyste et psychiatre, et l’un des élèves de Jacques Lacan les plus talentueux sans doute à transmettre le vif de la psychanalyse, au-delà des spécialistes. À côté de l’attention généreuse qu’il portait à qui venait le trouver comme analyste, il avait un souci constant de la société et de la cité. À la suite de Freud et de Lacan, il savait que les difficultés et les symptômes individuels recoupent toujours en quelque façon nos difficultés ou nos impasses collectives. Il le montrait avec intelligence et finesse dans sa pratique, et dans un séminaire tenu depuis plus de 40 ans, dont une part a été publiée aux éditions Érès.

C’est surtout avec L’Homme sans gravité. Jouir à tout prix, publié en 2002, que Charles Melman s’est fait connaître d’une plus large audience. Dans ce livre d’entretiens avec son confrère Jean-Pierre Lebrun, il donnait du sujet moderne et de l’époque une analyse qui n’a pas vieilli vingt ans plus tard. S’appuyant sur une lecture précise de Freud et de Lacan, dont il connaissait très bien et revisitait constamment l’enseignement, il montrait dans un style simple et clair comment se présente le rapport au monde et au réel de l’homme – et de la femme – d’aujourd’hui. 

Il relevait de quelle façon nous étions passés d’une économie du désir, organisée par le rapport singulier de chacun à une loi et à un interdit qui animent ses propres questions et ses actes possibles, à une économie de la jouissance, visant à réaliser un rapport sans entraves à la satisfaction, désormais conçue comme question surtout technique d’ajustement efficace à l’objet.

Cet avènement d’une primauté de la jouissance sur le désir, où il relevait une véritable mutation culturelle, Melman l’appelle la « nouvelle économie psychique ». Elle entraîne un changement de nos repères habituels, nous obligeant à envisager de façon nouvelle notre rapport au réel et ses aléas, si nous ne voulons pas nous retrouver désorientés et démunis devant ce qui se passe ainsi sous nos yeux. Beaucoup de nos références traditionnelles concernant la filiation, le rapport à l’autre, à la loi, au désir, au sexe, et somme toute aux enjeux de la vie et de la mort, sont ici remises en question, et appellent une réflexion renouvelée tant en elle-même que dans la pratique. Cela vaut particulièrement pour ces tâches que Freud relevait comme « impossibles », c’est-à-dire soutenues par rien d’autre qu’un pari sur le langage et son efficacité symbolique : la psychanalyse bien sûr et le soin psychique, mais aussi la politique, et l’éducation. Il n’est pas surprenant que les effets de désorientation de la mutation en cours s’observent spécialement dans ces trois champs de la pratique. 

Mais au-delà, c’est bien le rapport au réel de chacun qui se trouve remis en question, comme en témoignent les expressions contemporaines de la plainte, de la demande ou de l’angoisse, qu’elles soient individuelles ou collectives.

Les psychanalystes rencontrent au quotidien ces nouveaux sujets dans leur pratique. Alors que le sujet freudien se présentait tout encombré de son surmoi et de son refoulement, de sa névrose en un mot, dont il demandait de pouvoir démêler les fils pour se mettre un peu au clair avec son désir, ce sujet contemporain vient à nous autrement. Il est en un sens plus libre : moins embarrassé par ce désir dont le sépareraient la loi ou l’interdit. Ce qui le fait venir chez l’analyste, c’est plutôt son rapport à l’objet de jouissance, dont il n’est plus séparé : objet à consommer, à jouir, par lequel il est constamment sollicité. 

Et pourquoi pas, dira-t-on ? Le souhait d’une vie polyamoureuse, l’ivresse d’un corps libéré des contraintes de la loi familiale ou sociale, l’affranchissement d’une sexuation reçue comme arbitraire, cela peut s’entendre. Pourtant ceux et celles qui viennent nous trouver – et ils sont nombreux – montrent que ce nouveau rapport à l’objet peut se révéler plus contraignant que ne l’étaient, jusqu’à présent, les questions posées à chacun par son rapport à la loi, à l’interdit, et donc au désir. 

Ainsi ce jeune homme reçu récemment, affichant une orientation sexuelle ouverte et sans exclusivité, qui vient consulter en raison d’une angoisse qui ne le lâche pas et rend ses nuits difficiles. Il viendra me voir pendant quelques mois avant d’interrompre les rendez-vous, lorsque l’angoisse sera un peu calmée. La liberté sexuelle et de genre où il cherchait sa place, au demeurant peu assurée dans ses tentatives de réalisation, était une façon de répondre comme il le pouvait à la recherche d’une reconnaissance qu’il ne trouvait pas sur la scène familiale. Ses parents le dispensaient, père et mère confondus, de toute référence à un idéal, et lui témoignaient une sollicitude constante, sans conditions. C’était le laisser seul dans une relation à l’objet sans tiers, directe : d’où l’angoisse, et aussi la culpabilité d’une dette qu’il ne pouvait payer, devant l’amour omniprésent de ses parents.

Cette angoisse et cette culpabilité, souvent associées à une tonalité dépressive, sont des traits fréquents chez les sujets, et surtout les jeunes, qui viennent nous trouver aujourd’hui.

Les réflexions exposées dans L’Homme sans gravité ont rencontré un accueil attentif du public, car elles parlent de ce que nous rencontrons aujourd’hui dans la clinique et dans la société. Elles donnent aussi quelques éclairages utiles pour trouver une orientation, autre que spontanément idéologique ou religieuse, dans la mutation en cours. Elles sont proches en cela du Freud de Malaise dans la civilisation (1930), et en partagent quelquefois une note de pessimisme. Pourtant, la pratique et l’enseignement de Charles Melman ne se fermaient pas sur l’amertume facile du constat pessimiste : il cherchait toujours l’ouverture et la surprise déconcertante de l’issue parfois rencontrée à portée de main, et souvent pas sans l’autre. C’est à cela qu’il invitait régulièrement qui venait le voir.

Enfin, son rapport à l’enseignement de Jacques Lacan n’était pas convenu. Il le recevait un peu dans le style de l’école antique : pas seulement livresque, mais exigeant à vivre. Il n’a jamais révéré comme des fétiches les énoncés de son maître. Il les lisait, et les reprenait à la faveur d’une énonciation singulière, renouvelée jusqu’à la toute fin de son propre enseignement. Me revient ici le souvenir d’un colloque qu’il avait suscité, intitulé « Intelligence et limites des disciples » : comment accepter de se reconnaître un maître sans en devenir idiot ou infatué, ou les deux : c’était l’un des aspects les plus vivants de sa pratique, de son style et de son enseignement. 

Il laisse une œuvre en partie publiée, qui donne des points d’appui précieux à qui cherche à s’orienter dans le réel d’aujourd’hui.

Cet homme engagé et courageux, ce Mensch comme on dit aussi dans une tradition qui était la sienne, méritait ici l’hommage du souvenir.

Expresso : les parcours interactifs
Aimer sa moitié avec le Banquet
On dit parfois que la personne aimée est « notre moitié », celui ou celle qui nous complète. L'expression pourrait trouver son origine dans le mythe des androgynes, raconté dans le Banquet de Platon ! Découvrez ce récit fascinant.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
7 min
La psychanalyse va-t-elle nous faire un sermon ?
Alexandre Lacroix 27 mars 2014

Du temps de Freud, la psychanalyse faisait sauter les verrous d’une morale religieuse très répressive. Aujourd’hui, sur de nombreux dossiers, comme l’avortement ou l’euthanasie, elle est au contraire dans le camp conservateur. Est-ce l…


Article
3 min
Charles Melman : “Chez les Le Pen, le drame du père n’intéresse plus la fille”
Martin Legros 28 mai 2015

Suite à sa suspension du parti qu’il a créé, Jean-Marie Le Pen a répudié sa fille Marine à qui il a demandé de « lui rendre son nom ». Le…

Charles Melman : “Chez les Le Pen, le drame du père n’intéresse plus la fille”

Article
9 min
Sigmund Freud. Le conquistador de l'âme
Cédric Enjalbert 20 janvier 2010

Enfant, Sigmund Freud rêve d’archéologie ; il fouillera les méandres du psychisme. Neurologue, psychiatre, le découvreur de la psychanalyse est un travailleur acharné, alternant théories révolutionnaires et phases d’abattement. Entouré…


Article
4 min
Quand un chien aidait Freud à psychanalyser ses patients
Arthur Hannoun 17 janvier 2022

La thérapie assistée par animal est de plus en plus reconnue et utilisée. La présence d’un animal apaise, réconforte et réduit les angoisses des…

Quand un chien aidait Freud à psychanalyser ses patients

Article
7 min
Clément Rosset : “Ma découverte philosophique centrale m’est venue en entendant à la radio l’opéra ‘Œdipe’ de Georges Enesco !”
Alexandre Lacroix 23 septembre 2021

Dans cet extrait du deuxième entretien de La Joie est plus profonde que la tristesse (Stock/Philosophie magazine éditeur, 2019), le philosophe…

Clément Rosset : “Ma découverte philosophique centrale m’est venue en entendant à la radio l’opéra ‘Œdipe’ de Georges Enesco !”

Article
8 min
Clément Hervieu-Léger : “Wedekind écrit des pages magnifiques sur les considérations adolescentes, qui naissent avec l’éveil du désir”
Cédric Enjalbert 13 avril 2018

Sociétaire de la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger met en scène une pièce rarement montée de Frank Wedekind : “L’Éveil du printemps”…

Clément Hervieu-Léger : “Wedekind écrit des pages magnifiques sur les considérations adolescentes, qui naissent avec l’éveil du désir”

Article
4 min
Freud-Lacan : un match de rêve
Octave Larmagnac-Matheron 08 février 2023

Entre le rêve et l’éveil, la frontière est plus fine qu’il n’y paraît. Si Freud estime que l’inconscient souhaite le sommeil pour mieux s’exprimer, Lacan répond que le rêveur préfère s’échapper vers l’éveil pour fuir le réel.


Article
9 min
Charles Pépin : “La rencontre est ce qui me change par la confrontation avec une altérité”
Catherine Portevin 21 janvier 2021

Confinements et couvre-feux à répétition, bars, clubs et cafés fermés, lieux culturels désertés, télétravail généralisé, « gestes barrières…

Charles Pépin : “La rencontre est ce qui me change par la confrontation avec une altérité”

À Lire aussi
Freud au musée
Freud au musée
Par Cédric Enjalbert
novembre 2018
Sigmund Freud : « Rien n’est plus difficile à supporter qu’une série de beaux jours »
Par Nicolas Tenaillon
septembre 2012
Michel Onfray et Jacques-Alain Miller. En finir avec Freud ?
Michel Onfray et Jacques-Alain Miller. En finir avec Freud ?
Par Martin Duru
janvier 2010
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Charles Melman, le psychanalyste qui a diagnostiqué une nouvelle économie du désir
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse