C’est quoi, être “laxiste” ?
Le laxisme, père de tous les maux ? L’accusation est omniprésente, surtout actuellement. La semaine dernière, les syndicats de police dénonçaient « le laxisme de la justice », à cause du jugement en appel, réputé trop clément, des jeunes ayant attaqué au cocktail Molotov deux voitures de police à Viry-Châtillon (Essonne). Le 24 avril, en réaction au meurtre d’une agente administrative dans l’hôtel de police de Rambouillet (Yvelines), le sénateur Bruno Retailleau (Les Républicains) déclare au Point : « Le laxisme migratoire est une bombe. » Enfin, dans l’« affaire Sarah Halimi », au cours de laquelle le meurtrier de cette femme juive a été déclaré irresponsable du fait de son état psychiatrique, le procureur de la République en charge du dossier François Molins a dû se défendre dans Le Monde : « Rien ne permet d’affirmer […] que la justice serait laxiste. »
Mais, au fond, que signifie ce mot étrange de « laxisme » ? Pour le comprendre, il faut remonter à son origine et remonter le fil… Petite histoire d’une notion.
« Laxisme » vient du latin laxus, qui signifie « desserré » ou « relâché ». Cette racine a aussi donné le laxatif, qui prend au mot la notion de relâchement… appliquée au sphincter. Noble lignage, donc. Le laxisme est l’attitude qui tend à limiter les interdits ou refuser de les appliquer. Au XVIIe siècle, le philosophe Blaise Pascal s’en fait le redoutable ennemi dans Les Provinciales (1657), en épinglant les compromissions des jésuites avec les règles de l’Église. Les Jésuites sont des casuistes, c’est-à-dire des théologiens qui analysent et résolvent, au cas par cas, les problèmes moraux et les situations qui mettent le croyant face à un interdit. En réalité, ils cherchent et trouvent les conditions dans laquelle l’interdit sera contourné. Au risque de le vider de sa substance, avertit Pascal. Par exemple, il sera toléré qu’un croyant participe à un duel (alors que le Roi et l’Église l’interdisent), si il n’a pas « l’intention expresse de se battre ». Et Blaise Pascal de tonner : « Qui pourra voir, sans en rire, la manière dont Hurtado [un jésuite espagnol] fait éviter le péché du duel en se promenant dans un champ, et y attendant un homme. » Bref, les gesticulations casuistiques, cherchant à négocier constamment les conditions de la règle, organisent en fait son évitement. Ce refus d’accepter l’interdit dans son intégrité est donc le principe d’une « corruption des mœurs ». Si le terme « laxisme » n’apparaît pas chez Pascal, c’est bien de sa critique dont il est question, décrite chez les jésuites comme un « pernicieux relâchement ». De Pascal aux accusations contemporaines de laxisme, on devine bien que la notion n’a pas beaucoup dévié : c’est la faiblesse ou l’impuissance à appliquer la loi, morale et chrétienne pour Pascal, pénale et civile aujourd’hui, et le délitement des mœurs que l’on y risque.
Mais puisque dans « laxisme », il y a -isme, le mot a presque l’apparence d’une doctrine ou d’un courant politique. S’il fallait en trouver la matrice moderne, on pourrait citer la piquante formule de Henri Queuille, Président du Conseil sous la IVe République : « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. » Le laxisme en politique, c’est à peu près ça : face à une difficulté, ne rien faire et espérer qu’elle disparaisse d’elle-même.
Sauf que, l’aphorisme de Queuille est original, puisqu’il fait du laxisme, non un défaut, mais une sagesse, en ce qu’elle économise une énergie inutile. À la lire, on serait presque tentés de donner au laxisme la dignité d’une théorie : un pari attentiste sur la nature du monde. Cependant, pour ses ennemis d’aujourd’hui, le laxisme pêche moins par vision délibérée (l’action est vaine) que par faute morale (paresse de légiférer, couardise de sanctionner). Le laxisme contemporain ne serait donc pas tant un mauvais contenu… qu’un défaut de contenu. Pour le dire crûment, les laxistes n’auraient rien dans le ventre. Ce qui, si on se souvient du laxatif, boucle finement la boucle.
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