Captcha, l’attrape-humains ?

Vous avez dû oublier un feu rouge quelque part. Peut-être que la base du feu comptait… C’est pour ça que, maintenant, vous devez distinguer tous les passages piétons. On se sent bête à force de rater ces tests Captcha, d’autant plus que la machine ne vous donne jamais la solution (la base du feu, elle comptait ou pas ?). Les tests Captcha (acronyme de completely automated public Turing test to tell computers and humans apart), puis reCaptcha, sont des tests de Turing inversés : ils ont été conçus pour différencier les êtres humains innocents des ordinateurs et prévenir les tentatives de piratage. Car rien n’est plus facile pour un programme malveillant que de générer automatiquement de faux profils. D’où ces énigmes basiques et pénibles, supposées être à la portée de l’humain innocent, quels que soit son âge et son milieu culturel.

L’histoire de Captcha (issu du mot anglais capture, « attraper », prononcé à l’américaine), marque déposée par l’université américaine Carnegie-Melon, est assez fascinante. Au début des années 2000, il suffisait de recopier des lettres un peu déformées, rappelant vaguement une écriture enfantine, qu’une machine n’était pas censée savoir déchiffrer. Mais les machines, comme les enfants, apprennent vite. Quelques années plus tard, elles étaient parfaitement capables de lire ces lettres arrondies. Il fallut donc adapter l’épreuve. C’est l’apparition de reCaptcha, nouvelle génération de tests créée en 2007, avec toujours le même principe de déchiffrer un mot, sauf que les lettres sont plus ardues à lire. Et pour cause, elles proviennent d’archives du New York Times et bientôt de Google Books (car, flairant la bonne affaire, Google a racheté reCaptcha en 2009). L’idée sous-jacente, c’est que les millions de contributions quotidiennes de ces braves humains en train de passer leur test servent à quelque chose. En l’occurrence, à numériser tous les articles du New York Times depuis 1851 et toutes les ressources de la librairie Google. Vous avez donc contribué (probablement sans le savoir) à la numérisation de plusieurs millions d’articles de presse et de pages de livres. Magie de l’intelligence collective ou sentiment d’avoir transporté malgré soi les pierres de la pyramide ?

La dernière génération de tests Captcha – dite noCaptcha – est plus subtile, elle repose sur l’analyse de vos mouvements de souris. S’ils sont erratiques, désordonnés – bref, humains –, on ne vous demandera probablement pas grand-chose, juste de cocher une simple case : « Je ne suis pas un robot. » Si, au contraire, la machine a un doute, c’est un déferlement de feux rouges et de passages piétons. Vous l’aurez compris, pendant que nous nous demandons s’il fallait aussi cocher la case en bas à gauche, l’intelligence artificielle ne perd pas son temps : elle apprend. Elle emmagasine nos millions de réponses et prépare la voiture sans conducteur de demain. Une voiture qui (grâce à vous) sera capable de s’arrêter aux feux et aux passages piétons. Au passage, si les tests se succèdent, ce n’est pas forcément que vous les avez ratés, il se peut simplement que la machine ait envie d’apprendre. 

Autrefois, l’énigme était posée par un Sphinx ou un Daemon. Elle était censée nous initier aux mystères de la vie et de la mort. Aujourd’hui, un programme nous demande encore et encore d’identifier des feux de signalisation – énigme sans mystère, intelligente pour qui la conçoit, inutile pour qui la résout. Une énigme inhumaine à laquelle nous nous adaptons.