Cannibalisme : quand les humains s’entre-dévorent
1,45 millions d’années : c’est l’âge d’un tibia retrouvé au Kenya qui serait, selon une étude récemment parue dans Scientific Reports, le plus ancien témoignage de cannibalisme humain. Mais pourquoi donc les êtres humains se mangent-ils ? Éléments de réponse.
Barbarie et civilisation
« Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie » : l’exemple du cannibalisme, dont les récits en provenance d’une Amérique fraîchement découverte témoignent abondamment au XVIe siècle, sert de point de départ à la réflexion de Montaigne sur le relativisme des normes et des pratiques culturelles. Le philosophe souligne, dans ses Essais, que la cruauté des Amérindiens n’est pas plus grande que celle des Européens ; simplement, faute d’habitude, déconcertés par des pratiques qui ne sont pas les nôtres, nous la remarquons davantage.
N’y a-t-il pas tout de même, dans le fait pour un humain de manger un congénère, une forme d’ensauvagement, un dévalement de la personne humaine, une déchéance vers un niveau tout juste animal où les nécessités vitales l’emportent entièrement sur les valeurs morales ? La faim brute sur la civilisation ? Le cannibalisme, note la préhistorienne Marylène Patou-Mathis dans Neandertal de A à Z (Allary Éditions, 2018), est très fréquemment présenté comme le règne d’une « nature ensauvagée opposée à la culture ». Il est assurément des cas où la faim a pu conduire à des actes d’anthropophagie – ce fut en particulier le cas de la famine soviétique de 1921-22 en Russie, dont le pouvoir léniniste était largement responsable, ou bien plus tôt dans le reste de l’Europe aussi, comme dans certains cas extrêmes de grandes famines médiévales telles que celle du XIe siècle en France. « Chose rarement entendue au cours des âges, une faim enragée fit que les hommes dévorèrent de la chair humaine », raconte le moine-chroniqueur médiéval Raoul le Glabre (985-v.1047) dans son Histoire de France et de Bourgogne. Dans De l’inégalité parmi les sociétés (1997), le biologiste, historien et géographe américain Jared Diamond suggère que « le manque de protéines est probablement […] la raison ultime pour laquelle le cannibalisme était répandu dans les sociétés traditionnelles des hauts plateaux de Nouvelle-Guinée ».
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