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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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27 mars 2020 : depuis douze jours, la France vit confinée. Les rues de Bordeaux sont désertes et la police procède à de nombreux contrôles. © Laurent Perpigna Iban/Hans Lucas/AFP

Un classique éclaire le présent

Camus et le couvre-feu

Octave Larmagnac-Matheron publié le 15 octobre 2020 4 min

La mesure était attendue et redoutée, le président de la République l’a confirmée dans son intervention télévisée de mercredi soir : à compter de samedi minuit, un couvre-feu sera mis en place de 21 heures à 6 heures du matin dans plusieurs grandes villes (Lille, Grenoble, Lyon, Aix-Marseille, Montpellier, Rouen, Toulouse, Saint-Étienne), et dans l’ensemble de l’Île-de-France pour endiguer la propagation du coronavirus. Un dispositif qui devrait durer six semaines. Le choix du terme de « couvre-feu » n’est pas neutre : il évoque, inévitablement, les « heures sombres de l’histoire », et s’inscrit dans la rhétorique martiale employée depuis le début de la pandémie par Emmanuel Macron. Dès mars, il affirmait que « nous sommes en guerre ». Dans la foulée de l’intervention du président, l’Académie nationale de médecine s’est fendue d’un communiqué invitant à « éviter une terminologie (couvre-feu) évoquant plus des ordonnances de sécurité intérieure que des mesures de santé publique ». L’utilisation d’un vocabulaire coercitif et militaire peut sembler particulièrement étonnante venant de Macron, qui se présente comme un héritier des Lumières et de leur idéal d’émancipation individuelle. Le progressisme aurait-il tendance à se retourner contre lui-même ? C’est déjà ce que pensait le philosophe Albert Camus. Selon lui, « la philosophie des Lumières aboutit alors à l'Europe du couvre-feu. »

 

  • Libérer les hommes du pouvoir arbitraire des tyrans et des rois, de la superstition et de la religion, et permettre à chacun de s’émanciper matériellement comme intellectuellement : l’ambition des Lumières, celle d’une autonomie de la personne humaine au sein d’une société juste, reste un point de référence majeur pour la pensée politique, en Europe notamment : « Les mouvements révolutionnaires d'Allemagne, d’Italie et de France ont marqué le point le plus haut de l’espoir révolutionnaire », souligne ainsi Camus dans L’Homme révolté (1951), où il exprime sa méfiance à l’égard des grandes idéologie qui prétendent donner son sens à un monde qui n’en a pas. On comprend mieux, dans ce cadre, que le philosophe affirme que l’idéal des Lumières, dont on peut difficilement nier la grandeur, tend à se muer en une exigence martiale de discipline.
  • Camus rappelle, d’abord, un fait historique : « Faute d'une solidarité internationale […] aucune révolution intérieure [celle de 1789, celle des communistes] ne pouvait s’estimer viable sans qu’un ordre international fût créé. » En effet, la France fut immédiatement attaquée, après 1789, par les monarchies voisines. Par conséquent, « de ce jour, il fallut admettre que la Cité universelle ne pourrait se construire qu’à deux conditions. Ou bien des révolutions quasi simultanées dans tous les grands pays, ou bien la liquidation, par la guerre, des nations bourgeoises ; la révolution en permanence ou la guerre en permanence. » 
  • L’idéal révolutionnaire d’une « liberté totale » ne peut advenir s’il ne s’étend, d’une manière ou d’une autre, à la totalité de « l’espace, [du] temps et [des] personnes. » La guerre, contre l’ennemi extérieur mais aussi intérieur, sera la réalité de la Révolution française au moins jusqu’à Napoléon. Mais même après son écrasement par les régimes de Restauration, l’élan révolutionnaire demeure une menace omniprésente, universelle, qui doit être combattue. En ce sens, « la guerre [est] la réalité de la révolution », qu’elle voit vaincue ou victorieuse. Plus encore, elle est la réalité d’un monde dans lequel la révolution est devenue possible. La politique moderne est en ce sens marquée par le paradigme martial.
  • « La Cité universelle, qui devait être réalisée dans l’insurrection spontanée des humiliés, a été peu à peu recouverte par l’Empire, imposé par les moyens de la puissance » : l’Empire des contre-révolutionnaires, bien entendu, mais aussi l’Empire des révolutionnaires eux-mêmes, conduits à sacrifier leurs propres idéaux au nom de la survie du projet de la Révolution. « L’Empire est en même temps guerre, obscurantisme et tyrannie, affirmant désespérément qu'il sera fraternité, vérité et liberté. » Camus en conclut que « la philosophie des Lumières aboutit alors à l’Europe du couvre-feu » : elle engendre inévitablement, qu’il s’agisse de la réaliser ou de l’endiguer, un « renforcement de l’État » et des dispositifs disciplinaires.
  • Quel rapport avec le couvre-feu qui commencera samedi ? Bien entendu, la situation est fort différente : la République n’est pas en guerre, quoiqu’en dise Macron à propos du virus. Cependant, la pandémie révèle combien les situations de crises réactivent le paradigme guerrier, militaire, qui continue d’imprégner notre imaginaire politique, tel qu’il a été façonné par les Lumières. Se revendiquer de l’héritage des Lumières confère à cette rhétorique une force toute particulière et permet au pouvoir, sûr de son bon droit, de s’immiscer toujours plus dans la vie de ses citoyens.

 

Cette puissance martiale qui se croit juste est peut-être, au fond, un ennemi plus dangereux que le virus.

Le couvre-feu vu par Camus dans “La Peste”
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