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Bruce Willis en 2013. © Armando Gallo/Zuma Studio/Réa

Santé

Bruce Willis : l’énigme de l’aphasie

Octave Larmagnac-Matheron publié le 07 avril 2022 4 min

La nouvelle a fait grand bruit dans le monde du cinéma hollywoodien, et au-delà : il y a peu, la fille de l’acteur américain Bruce Willis annonçait que son père mettait fin à sa carrière. Sur Instagram, elle expliquait : « Bruce a eu des problèmes de santé et a récemment été diagnostiqué avec une aphasie, ce qui a un impact sur ses capacités cognitives. » En effet, l’aphasie est un trouble du langage qui passe en général par une difficulté plus ou moins marquée, voire une impossibilité, à trouver ses mots. La nature de la pathologie, diagnostiquée comme telle à partir du milieu du XIXe siècle, a longtemps interrogé (et continue d’interroger) les psychiatres et les neurologues. Mais aussi les philosophes, comme Maurice Merleau-Ponty.

 

  • Qu’est-ce donc que l’aphasie ? Merleau-Ponty s’est posé à plusieurs reprises la question, en particulier dans la Phénoménologie de la perception (1945). Il balaie d’emblée les interprétations entièrement physiologiques du phénomène, qui n’aident en rien à comprendre en quoi consiste la pathologie, mais aussi les lectures « intellectualistes », qui font « reposer la parole sur la pensée » et donc le dysfonctionnement de la parole sur un dysfonctionnement plus originaire de l’intellect. Le langage n’est pas « un accompagnement extérieur des processus intellectuels », pour Merleau-Ponty. Pensée et parole ne s’opposent pas, d’abord, l’une à l’autre ; elles s’entrelacent. « La pensée “pure” se réduit à un certain vide de la conscience […] L’intention significative nouvelle ne se connaît elle-même qu’en se recouvrant de significations déjà disponibles, résultat d’actes d’expression antérieurs. »
  • C’est donc par la médiation de l’expressivité charnelle du monde qu’advient la pensée-parole : expressivité des choses, expressivité des corps, et encore expressivité du langage vivant. « Le geste phonétique réalise, pour le sujet parlant et pour ceux qui l’écoutent, une certaine structuration de l’expérience, une certaine modulation de l’existence, exactement comme un comportement de mon corps investit pour moi et pour autrui les objets qui m’entourent d’une certaine signification. […] Le langage a bien un intérieur, mais cet intérieur n’est pas une pensée fermée sur soi et consciente de soi. Qu’exprime donc le langage, s’il n’exprime pas des pensées ? Il présente ou plutôt il est la prise de position du sujet dans le monde de ses significations. »
  • C’est bien ce « corps du langage », ce langage vivant, qui est mis en échec dans l’aphasie. Si le mot n’est plus mobilisable, c’est qu’il est en est réduit à un « corps inanimé ». « Le nom ne […] sert plus à rien ; ne […] dit plus rien, il est étranger et absurde, comme pour nous les noms que nous répétons trop longtemps. » Demeure seulement parfois l’usage d’un « langage automatique », mais pas – et c’est tout l’enjeu – celui du « langage gratuit ». Le malade « n’arrive pas à […] prononcer [le mot] lorsqu’il s’agit d’un exercice sans intérêt affectif et vital. » Il est emprisonné dans un rapport d’immédiateté avec le monde et comme privé de cette capacité humaine de tourner librement autour de la chose, de varier le point de vue qu’il adopte sur elle en changeant, par un exercice virtuel de la pensée, de point de vue sur elle. Il n’est plus capable de faire défiler les innombrables aspects, visages, facettes du sensible. L’aphasique a perdu contact avec le possible, qui est la condition même d’un usage originaire du langage comme « moyen de dénomination désintéressée ». Cette perte est aussi bien une perte de capacité à se projeter dans un autre regard que le sien. « Le sensible est précisément ce qui, sans bouger de sa place, peut hanter plus d’un corps. » L’aphasique est dépouillé de cette puissance de transposition.
  • Pour l’aphasique, chaque chose est comme « confiné[e] dans son existence individuelle », et comme prise dans « une sorte de viscosité ou d’inertie » qui empêche son insertion sous le sceau du général, du mot, du concept. Il n’a plus de monde, mais un pur divers. C’est pourquoi Merleau-Ponty parle d’une « théorie existentielle de l’aphasie », liée à la défaillance de « l’activité fondamentale par laquelle l’homme se projette vers un “monde” ». L’aphasique s’isole, se replie dans les limites d’une « pure conscience » pour autant qu’il isole les choses, qu’il les arrache à la « chair du monde », étoffe de tous les êtres. À la totalité de l’être, l’aphasique substitue l’agglomérat du disparate. Quant à l’origine même de cette déchirure, Merleau-Ponty n’en dit mot. La question échoit sans doute aux psychologues. Comme celle d’une éventuelle rémission.
  • Le cas de Bruce Willis s’éclaire certainement à la lumière des explications de Merleau-Ponty. La qualité de ses prestations s’est, de l’avis collectif, dégradée au fil des années. Les automatismes qui peuvent servir de parade ne peuvent faire illusion indéfiniment. Le mécanisme du jeu s’oppose diamétralement à ce qui constitue le coeur du travail de l’acteur : renouer avec l’incarnation du langage, afin de faire entrer la « miraculeuse multiplication du sensible dans le domaine du sens ».
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