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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Le corps d'un homme, les poignets liés dans le dos, gît dans une rue de Boutcha, au nord-ouest de la capitale Kiev, le 2 avril 2022. © Ronaldo Schemidt/AFP

Un pas de plus dans l'horreur

Boutcha, nouveau nom de la guerre en Ukraine

Michel Eltchaninoff publié le 04 avril 2022 4 min

Les images des cadavres de civils gisant sur le ventre, parfois les mains liées dans le dos, dans les rues de cette petite ville à proximité de Kiev, assassinés par l’armée russe lors de son retrait ont suscité l’effroi. Alors que Emmanuel Macron dénonce des crimes de guerre et que l’Europe s’apprête à prendre de nouvelles sanctions, il importe de mesurer la gravité de ce massacre – Dans les pas du philosophe Alain, Michel Eltchaninoff relève aussi sa fonction politique : face aux ratés de sa guerre en Ukraine, Poutine entend ainsi lier ses soldats dans la glu du crime pour qu’ils ne puissent plus s’en dégager et aillent jusqu’au bout de leur mission. 

Ce texte de Michel Eltchaninoff est extrait de notre newsletter quotidienne. Abonnez-vous (gratuitement) ici !

 

Vous avez sans doute vu, ce week-end, des images et des vidéos prises à Boutcha, une petite ville située à quelques kilomètres de Kiev et abandonnée par les forces russes après un mois d’occupation. Sur une large rue de cette cité, dévastée les véhicules slaloment entre les cadavres de civils. Deux hommes ont été tués alors qu’ils étaient sur leur vélo. Un autre est resté dans son automobile écrasée par un blindé. Un autre cadavre a les mains attachées derrière le dos par le ruban blanc qui servait à se désigner comme un civil non armé. Un corps est allongé sur le ventre devant le portail de sa maison. On est en train de retrouver des dizaines de personnes tuées, parfois d’une balle dans la nuque – parmi eux, des gens d’un certain âge, des femmes. Ils sont juste recouverts de planches, car on n’a pas eu le temps ni la place pour les enterrer. Une voiture blanche, sur laquelle ses occupants ont écrit partout “enfants”, pour tenter de fuir sans se faire tuer, est vide, cassée, les pneus crevés. Samedi, face aux caméras, les survivants gémissent, pleurent ou ne peuvent prononcer une seule parole. 

En quittant la région pour se redéployer à l’est et au sud du pays, l’armée russe a donc “nettoyé”, comme elle dit, le terrain abandonné, en massacrant des civils. Le 1er avril, la chaîne du ministère de la Défense russe diffusait la fière justification de ce crime. Un jeune soldat clamait devant la caméra : “Mon arrière-grand-père a participé à toute la Grande Guerre patriotique [le nom de la Seconde Guerre mondiale depuis le temps de l’URSS] et il a pourchassé jusque dans les forêts les démons fascistes. Maintenant, je suis un continuateur héroïque de cette tradition. Mon temps est venu.” Quant au président-idéologue de cette guerre, il tenait jusque-là un discours qui pouvait faire croire que les tueries gratuites de civils ne feraient pas partie de cette “opération militaire spéciale”. Il distinguait le peuple ukrainien, intimement lié, à ses yeux, au peuple russe, et les “néonazis”, c’est-à-dire le gouvernement et une partie de l’armée. Il semblait difficile de croire qu’il ferait tirer sur ceux qu’il considère comme des compatriotes (même si les Ukrainiens étaient depuis longtemps favorables, dans leur grande majorité, à une Ukraine indépendante de Moscou). Il l’a pourtant fait. Avec le massacre de Boutcha, après les bombardements, les tirs et la destruction de villes entières comme Marioupol, il a franchi un pas de plus dans la sauvagerie. 

Pour tenter d’appréhender, si c’est encore possible, cette tragédie, il faut sans doute aller plus loin que les discours, et chercher dans le vécu de la guerre, dans sa dimension humaine, son sens ultime. C’est ce qu’a fait – de son premier livre, La guerre n’a pas un visage de femme, sur les femmes durant la Seconde Guerre mondiale, à La Fin de l’homme rouge, en passant par Les Cercueils de zinc, sur la guerre en Afghanistan – l’écrivaine bélarusse Svetlana Alexievitch. En recueillant les voix des gens ordinaires, elle raconte la réalité soviétique et russe à hauteur d’homme. Avec des mots crus, dans La Fin de l’homme rouge, elle restitue la culture et le culte de la guerre dans laquelle ont été élevées des générations de citoyens : “Le rêve de mon père, raconte un jeune homme, c’était de nous jeter sous un tank. Il voulait qu’on devienne grands le plus vite possible pour partir à la guerre comme volontaires… Il ne se représentait pas le monde sans guerre. Il fallait des héros !” Voici ce que répète aujourd’hui, convaincu, le soldat russe que j’ai vu à la télévision. Le témoin de Svetlana Alexievitch a compris : “Pour [son père], la vie a moins de valeur qu’un bout de ferraille.” La sienne, mais aussi celle d’autrui. Dans un autre chapitre, une femme qui a perdu sa fille, violée et tuée par des miliciens en Tchétchénie : “Tuer, se bourrer la gueule et baiser – les trois grands plaisirs de la guerre.” 

Avec les crimes commis à Boutcha, Vladimir Poutine a fait retomber son efficace opération spéciale et sa glorieuse guerre de libération sur terre – c’est-à-dire dans la boue, parmi les cadavres des civils qui ont eu le malheur de sortir de chez eux pour chercher à manger ou aller se faire soigner chez le médecin. “Les Russes ont besoin d’un idéal qui leur glace le sang et leur donne la chair de poule…”, affirme un autre témoin. Tout se passe comme si, face aux ratés de sa guerre en Ukraine, le président russe lui rendait son goût et son odeur originelles, afin qu’aucun soldat ne puisse plus s’en dégager et aille jusqu’au bout de sa mission. Car, comme l’écrit Alain dans Mars ou La guerre jugée, ce genre d’action a comme conséquence de dissoudre toute signification dans une horreur poisseuse : “Un mort de plus ne compte guère en ces sombres heures où deux cents cadavres parlent vainement aux yeux et ne trouvent plus pitié. Tous ces morts sont sans reproche ; ils n’ont point mérité de mourir ; cette grande injustice qui s’offre au regard pendant des lieues ou des mois noie toute injustice.” Le dégoût et l’effroi emportent tout. 

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