“Black Mirror”, le pire des mondes possibles

La 6^e saison de la série Black Mirror vient de sortir sur Netflix. En interrogeant les dérives de la technologie, elle incarne les idées des philosophes, de Baudrillard à Merleau-Ponty.

Quatre ans après la précédente, la sixième saison de la série d’anticipation britannique Black Mirror est sortie jeudi 15 juin sur la plateforme Netflix. Depuis 2011, son créateur Charlie Brooker explore les dérives des nouvelles technologies à travers les scénarios souvent sombres de cette série d’anthologie [c’est-à-dire où chaque épisode constitue un téléfilm autonome, indépendant du scénario des autres]. En radicalisant leur usage, les épisodes de Black Mirror permettent de représenter les conséquences (souvent néfastes) des applications technologiques en cours de développement. C’est l’argument de la pente fatale : une innovation nous conduit, de proche en proche, à accepter de plus en plus … jusqu’à l’intolérable.

Cet horizon fictionnel n’est pas si lointain. Alors que la première saison, dans « Retour sur image », imaginait une puce permettant de revivre et diffuser des souvenirs, Apple vient de présenter son nouveau casque Vision Pro par lequel photographies et vidéos sont projetées autour de nous. De même, la popstar remplacée par son hologramme dans « Rachel, Jack and Ashley Too » est devenue réalité avec les concerts holographiques d’Abba ou de Michael Jackson. Comme dans « Chute libre », les notes pour tous types de services proposés par des particuliers sont devenues omniprésentes sur une ribambelle de plateformes, et avec son système similaire – mais implémenté au niveau étatique – de crédit social, la Chine a réussi à obtenir un contrôle sur la vie quotidienne des individus jamais atteint sous cette forme dans l’histoire. Enfin, si nous ne pouvons pas encore converser avec les morts comme dans l’épisode « Bientôt de retour » de la saison 2, Amazon a prévu d’utiliser les voix des proches disparus en assistants virtuels. Une série d’anticipation donc, déjà aux prises avec le présent. La saison 6 ne fait pas exception.

Bienvenue dans l’hyperréalité

8 heures du matin. Joan éteint d’une main lourde son réveil. Puis elle part au travail, se plaint de la fadeur de son couple auprès de sa psy et prend un verre avec son ex avant de rentrer dîner. Un quotidien banal. Mais alors qu’elle allume la télé, une nouvelle série, Joan est horrible, attire son attention. Chaque détail de sa journée y est retracé, exacerbant ses pires défauts. Le public de la plateforme Streamberry (qui ressemble fortement à Netflix) se délecte de cette déchéance filmée au quotidien. Toute tentative de recours est vaine. Elle a accepté les conditions générales de vente. Sa vie ne lui appartient plus. À l’image du Truman Show de 1998, elle est devenue une série.