Benoît Durieux : “La guerre échappe très rapidement à ceux qui l’ont déclenchée, elle devient ce qu’on n’avait pas du tout imaginé”

Après l’échec de la contre-offensive ukrainienne, revient la guerre d’usure. À l’avantage de la Russie pour certains. Mais pour le général Benoît Durieux, directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et spécialiste de la pensée de Clausewitz, c’est méconnaître la logique profonde et parfois obscure des conflits armés.

Comme l’offensive russe s’était brisée contre une résistance ukrainienne inattendue, la contre-offensive militaire de l’Ukraine est également dans l’impasse. Comment l’expliquer ?

Benoît Durieux : Les récits de la guerre se font toujours bien après les faits tant l’imprévu domine dans les conflits. Nous en revenons cependant à un principe fondamental de la pensée de Carl von Clausewitz : la défensive est la forme la plus forte de guerre. Le défenseur a l’avantage du terrain et peut se préparer. Les Ukrainiens ont eu cet avantage lors de l’offensive initiale conduite par les Russes dès le 24 février 2022. Il est désormais du côté des forces de Poutine.

“Les Ukrainiens ont eu l’avantage de la défense lors de l’offensive russe initiale en 2022. Cet avantage est désormais du côté des forces de Poutine” Benoît Durieux

Cela signifie-t-il que les armées ont toujours tendance à surestimer leurs capacités offensives ?

Je ne pense pas que l’objectif de la contre-offensive ukrainienne ait été de dévaster l’armée russe. Kiev savait que ses forces ne pouvaient, au mieux, que reprendre une partie des territoires occupés. Elles sont confrontées à des problèmes de réserves. C’est très compliqué de lancer une contre-offensive à partir d’une situation stabilisée. Une telle opération implique de mobiliser beaucoup de forces armées pour les localiser à un endroit bien précis. Vous devez rompre temporairement un équilibre dans la répartition territoriale de vos forces et donc nécessairement créer des zones de vulnérabilité. Si ces dernières deviennent trop importantes, la contre-offensive peut non seulement échouer mais aussi devenir l’élément déclencheur d’un effondrement. Attendons de voir ce qui va se produire dans les prochaines semaines, mais jusque-là, les deux parties savent qu’elles peuvent défendre avec des chances raisonnables de succès sans être pour autant capables de mener une offensive victorieuse.