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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Vincent Migeat/Agence VU

Avons-nous perdu le fil de notre vie intérieure ?

Martin Legros publié le 20 février 2023 4 min

Poser son téléphone sur la table – du café, de la maison ou du restaurant – alors que nous prenons un verre ou déjeunons avec un ami : voilà un geste que nous sommes très nombreux à faire, dorénavant. Mais que signifie-t-il exactement ? Ce fut l’objet d’un petit débriefing, hier, entre notre rédacteur en chef Martin Legros et son épouse…

 

« Hier midi, à peine m’avait-elle rejoint chez un ami très cher qui nous avait invités à manger chez lui que ma femme, Myriam, sort son téléphone de sa poche et le dépose sur la table de la cuisine où le couvert était dressé.

– Tu sais que tu as déposé ton téléphone sur la table de Xavier dès que tu es arrivée dans sa cuisine, ai-je fait remarquer à Myriam quelques heures après. C’est un geste bizarre, tout de même…

– Mais nous le faisons tous, m’a répondu Myriam. Et Xavier lui-même avait déposé le sien sur la table.

– Je ne t’en fais pas du tout le reproche. C’est un geste que je fais moi-même très souvent. Et d’ailleurs, quand tu es arrivée, mon propre téléphone était déjà posé sur la table. Mais en te voyant te plier à ce nouveau “rituel”, c’est comme si m’était apparue, peut-être pour la première fois, l’étrangeté de cette pratique. Quand on y pense, n’est-ce pas une manière un peu cavalière de signifier à notre hôte ou à notre interlocuteur que nous brisons de manière unilatérale le colloque singulier, intime, auquel il nous convie ? que nous décidons d’ouvrir l’espace privé de sa cuisine et de la conversation, sur le dehors ?

– Pour ma part, je fais cela uniquement quand je ne suis pas avec les enfants, au cas où ils chercheraient à nous joindre de manière urgente.

– Ah, l’excuse des proches ! Je n’y crois pas. C’est un alibi. Car la plupart du temps, les interruptions qui captent notre attention ne sont pas celles de nos proches, mais les dernières alertes d’un média sur les suites de l’affaire Palmade ou de la guerre en Ukraine… Ou le dernier mail en provenance des collègues du boulot. Et c’est au monde des liens possibles et inattendus que nous ouvrons ainsi la porte, pas seulement à nos liens réels. D’ailleurs, à la maison, nous bannissons les téléphones de la table familiale pour cette raison. Nous ne voulons pas que la conversation familiale soit perturbée par la vidéo du premier venu qui fait le buzz sur les réseaux sociaux…

– Eh bien justement, dès lors que les enfants sont là, le téléphone n’a plus de raison d’être pour moi, a conclu Myriam.

– J’ai lu l’autre jour une magnifique formule d’Umberto Eco à ce propos, ai-je ajouté pour relancer la discussion. Alors que Bernard Pivot lui demandait, au cours de l’émission Apostrophes, ce qu’il entendait par la “vie intérieure”, Eco lui avait répondu : “La vie intérieure, c’est là où il n’y a pas de téléphone.”

– Mais à l’époque, le téléphone était encore fixe, non ? a objecté Myriam. Il était attaché à l’espace du domicile et du bureau, il ne nous suivait pas partout où nous allions.

– Justement ! Imagine que c’eût été techniquement possible ; nous n’aurions jamais eu l’idée de transporter avec nous ce gros objet en bakélite noire pour le poser au milieu de la table de la cuisine de Xavier quand il nous invitait à déjeuner… Même si c’était uniquement pour rester en contact avec les enfants.

– Tu veux dire que la proposition d’Eco ne s’applique plus ?

– Je crois au contraire qu’elle n’a jamais été aussi pertinente. Car non seulement nous transportons nos téléphones avec nous partout où nous allons, mais ceux-ci encapsulent désormais une bonne part de notre “vie intérieure” et de notre mémoire avec nos photos, les traces de nos déplacements, nos mails, etc.

– Tu veux dire que nos vies intérieures ont été entièrement colonisées par le téléphone ?

– Augustin disait de la vie intérieure qu’elle était l’espace “plus intime que l’intime de moi-même” et qu’à part ma propre personne, seul Dieu y avait accès… Au lieu de penser que nous avons perdu la vie intérieure, on pourrait tout aussi bien considérer qu’elle s’est branchée sur autre chose qu’elle-même. C’est ainsi que le philosophe Pierre Cassou-Noguès, l’auteur de La Bienveillance des machines, appréhende le transfert à des machines d’une part de l’expérience dont nous étions les seuls dépositaires. Pour lui, c’est moins une perte qu’une nouvelle “forme de vie” au sens de Wittgenstein.

– N’est-ce pas ce trouble-là que tu as éprouvé en me voyant déposer le téléphone sur la table, donc ?

– Tu as raison. C’est comme si j’avais pris conscience que nos vies intérieures sont dorénavant systématiquement branchées sur l’ailleurs, ouvertes au dehors.

– En somme, a définitivement conclu Myriam, c’est le nouveau fil de notre vie intérieure. »

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