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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Michel Onfray 

Carnet de voyage

Aux sources de l’érotisme indien

publié le 20 septembre 2012 21 min

Pour Philosophie magazine, Michel Onfray s’est rendu aux temples de Khajuraho et au Taj Mahal et s’est replongé dans la lecture du Kama Sutra. À partir de ces trois monuments de l’éros indien, devenus autant de malentendus, il déconstruit la sexualité occidentale. Et célèbre l’amour physique comme un art sacré de vivre, loin de la morale chrétienne.

On est très sérieux quand on a 17 ans, après ça se gâte… Je sortais du long tunnel de l’adolescence et je découvrais la philosophie à l’université. Je croyais encore qu’on y apprenait à mener une vie philosophique, j’ai vite compris qu’il n’en serait rien. Mais durant les huit années que j’y passais, je n’ai pas renoncé. Les lectures nourrissaient mon projet de « me tailler un costume sur mesure », comme l’écrit Nietzsche dans Schopenhauer éducateur.

Je me suis fait quelques promesses. C’était entre moi et moi. La plupart ont été tenues. Le reste suppose les derniers instants de ma vie. Il y a eu des promesses politiques de fidélité à mes origines sociales ; des promesses affectives de construction volontariste ; des promesses d’écriture ; des promesses de faire quelque chose de mon existence qui ne soit pas infidèle à mes colères d’adolescent ; des promesses, aussi, de ne pas vénérer adulte ce que j’aurais exécré dans ces temps de vérité existentielle.

Je m’étais également promis, lisant L’Érotisme de Georges Bataille et avisant la photographie de couverture – une statuaire de corps nus et enlacés du temple de Khajuraho –, d’aller voir un jour sur place ce haut lieu de l’érotisme indien. Un quart de siècle plus tard, un premier voyage en Inde m’a permis d’aller faire des conférences à Calcutta, Delhi, Hyderabad, Adherabad. Sur place, je m’inquiétais des distances avec le site archéologique des temples dits érotiques. Trop compliqué… Je décidai donc d’en effectuer un autre qui m’a reconduit à Delhi, mais aussi à Agra, Bénarès, et donc à Khajuraho.

Odeurs, parfums, peaux, vêtements, mouvements, bruits, sons, couleurs… en Inde, l’impression domine d’un monde dans le monde. Un autre monde fait de deux mondes : le moderne et l’ancien, avec ses castes, ses brahmanes, ses intouchables, ses sages dénudés, descendants des gymnosophistes qui sont la généalogie de l’Occident, ses tourbillons de poussières dans les rues semblables à ceux des atomistes de l’Antiquité, ses vaches indolentes au milieu des routes, ces bœufs attelés à leur rythme au milieu des concerts de Klaxon et des zigzags des véhicules déglingués, ses éléphants cornaqués, ses serpents dans des récipients de terre…

Sur place, déambulant parmi les temples, je me souvenais de ma petite carrée universitaire, de la nuit de décembre déprimante, de ma lecture de Bataille, du livre posé sur le sol, au pied de mon lit. Enfin, j’y étais…

« Odeur, parfums, peaux, vêtements, bruits, sons, mouvements, couleurs… En Inde, l’impression domine d’un monde dans le monde. Enfin, j’y étais »

 

La carte postale intellectuelle associe l’Inde à l’érotisme et/ou à l’amour. D’où une triple référence au Kama Sutra, aux temples dits érotiques de Khajuraho et au Taj Mahal, prétendument voué à l’amour conjugal. Or ces symboles coïncident avec trois malentendus. Le premier : le Kama Sutra n’est pas qu’un recueil de postures amoureuses. C’est d’abord un livre de philosophie qui propose des exercices spirituels en même temps que des expériences existentielles corporelles constitutives d’une vie philosophique. Le deuxième : les temples de Khajuraho disposent d’une impressionnante statuaire datant du Xe siècle, dont seule une toute petite partie relève de l’érotisme. Ces temples du Madhya Pradesh, au nord-est de l’Inde, bâtis à la demande de la dynastie Chandella, montrent que, dans l’hindouisme, tout est sacré, même le sexe. Le troisième : le Taj Mahal, à Agra, n’est en rien la déclaration d’amour d’un empereur Moghol éperdu pour son épouse trop tôt disparue, mais est un monument composant un ensemble inachevé à la gloire du pouvoir d’un puissant tout à la célébration de lui-même.

 

Premier cliché, le Kama Sutra

J’ai emporté avec moi le Kama Sutra, L’Érotisme de Georges Bataille et La Cité de Dieu de saint Augustin. Bataille, à l’origine de mon voyage, est pourtant à l’opposé de ma sensibilité. Ce que René Étiemble appelle son « érotisme sanieux » reste chrétien dans ses associations : le sexe et la mort, la jouissance et la saleté, l’orgasme et la torture, le corps et la blessure, les femmes et l’ordure, l’acte sexuel et le culte de l’excrémentiel. Cette logique procède tellement de saint Paul, de ses Épîtres d’impuissant devenues manifestes d’un christianisme officiel et martial depuis la conversion de Constantin au IV e siècle… J’ai aussi emmené saint Augustin, car le texte est contemporain du Kama Sutra et j’aime cette violente collision intellectuelle : un Père de l’Église qui théorise la sexualité occidentale en sexualisant le péché originel et un auteur, Vatsyayana, qui théorise l’éros léger, écrit un bréviaire de sexualité joyeuse à destination du corps ignorant le péché originel, la faute, la culpabilité, la misogynie, la phallocratie. L’Inde en antidote à l’Occident chrétien, je m’apprêtais à lire dans ce sens.

Le Kama Sutra est un livre célèbre et méconnu. Célèbre à cause de ses fameuses postures acrobatiques ; méconnu pour son contenu philosophique, sa portée édifiante, son contexte intellectuel, sa dimension révolutionnaire qui se manifeste si l’on effectue un exercice de philosophie comparée, rarement accompli dans un monde incestueux, celui de la philosophie, qui ne se nourrit que de lui-même et voit d’un mauvais œil un détour par l’Afrique, l’Asie, l’Océanie, pour envisager autrement sa modalité européenne. Le détour par l’Inde pour lire différemment le corpus classique de la pensée blanche et chrétienne, voilà qui me ravissait.

Le livre de Vatsyayana synthétise les ouvrages d’art érotique parus avant lui et commente des positions prises par les auteurs qu’il ramasse sous un même titre. Dès l’ouverture, il se place sous le signe de l’hindouisme et invite chacun à tenir sa place : le respect de l’ordre cosmique passe par l’observance des prescriptions religieuses et des rituels associés. Tout est donc possible en matière de sexualité, mais dans le respect de ce à quoi oblige l’hindouisme en matière de caste, dès qu’il s’agit de fonder une famille et surtout de procréer. Pas question de consentir à une union entre brahmane et intouchable… En dehors de cela, nul interdit en matière de prescription sexuelle.

Le christianisme, qui déteste le corps, la chair et les plaisirs, a choisi de tirer un trait sur la sexualité : elle est l’animalité en nous, le péché, la faute, ce qui nous rabaisse, elle suppose les pleins pouvoirs d’une chair peccamineuse alors que l’âme devrait faire la loi. L’Occident chrétien ne dispose pas d’un érotisme, mais d’une série de dispositifs malsains pour empêcher le sexe. L’éros chrétien relève de la pathologie et se construit sur le culte de la pulsion de mort avec culpabilité, angoisse, peur, célébration du sadomasochisme, transformation du désir en damnation et du plaisir en abjection.

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