Au chevet des paysages abîmés
À l’heure des mégafeux et des inondations, de l’érosion du littoral, de la pollution des sols, est-on capable de restaurer des écosystèmes ? Une telle action n’est-elle envisageable qu’en faisant le deuil de la pureté ? Réponse avec l’écrivaine Lucie Taïeb et la philosophe Marion Waller.
Le cas d’école, ce serait Freshkills.
Ce site, proche de New York, sur Staten Island, a été utilisé comme décharge à partir de 1947. Il s’agissait de marais salins impropres à la construction. L’idée initiale était de les assécher durant trois ans de stockage, avant d’en faire une zone constructible. Mais la décharge est devenue immense, monstrueuse : 890 hectares, recevant jusqu’à 40 000 tonnes de déchets par jour dans les années 1980. Le site, dangereux pour la santé des riverains, a été fermé en mars 2001, puis rouvert pour accueillir les gravats des Twin Towers après les attentats du 11-Septembre. Un système de bâches plastifiées a ensuite été posé sur ces déchets, puis des couches de sable et de terre ont été empilées dans le but de transformer la zone en un parc.
“À force de refuser de voir le négatif – que ce soient les cadavres ou les rebuts de notre surconsommation –, nous nous enfermons dans une positivité superficielle”
L’écrivaine Lucie Taïeb s’y est rendue et en est revenue avec un récit saisissant, Freshkills. Recycler la terre (La Contre-Allée, 2020). « L’association qui a la charge de ce programme met beaucoup l’accent sur l’idée d’un retour à la nature, ils ont lancé des recherches pour réintroduire les espèces végétales et animales présentes à l’origine. Cette association s’appelle Alliance, et son slogan est éloquent : elle promet de “Recycler la terre, révéler le futur”. » Aujourd’hui, ce décor bucolique a un envers : les monceaux de détritus continuent de pourrir et de suinter sous les bâches. « Une telle quantité de déchets n’est pas inerte, et ces monts du parc vont perdre du volume au cours du temps. La décomposition se poursuit, il y a un système de drainage et de retraitement des gaz et des liquides qui s’échappent, c’est un dispositif très sophistiqué. » Et quand on se balade dans ces allées, on ressent quoi ? « Lors de ma visite guidée, rien ne signalait la présence des déchets sous mes pieds. J’ai cru percevoir une odeur nauséabonde, mais était-ce de l’ordre de l’autosuggestion ? Et je n’éprouvais rien, comme si j’étais anesthésiée. Ce qui m’intéresse, c’est l’illusion qu’entretient une telle entreprise, notamment chez les habitants de Manhattan. On éloigne leurs poubelles, puis on les recouvre. N’est-ce pas les installer dans un déni ? Sur le fond, je redoute que le geste par lequel nous ignorons ou camouflons les déchets que nous produisons, censé nous protéger de la négativité inhérente à notre époque, nous amène à une vie tronquée. À force de refuser de voir le négatif – que ce soient les cadavres ou les rebuts de notre surconsommation –, nous nous enfermons dans une positivité superficielle. » N’est-ce pas par un tel geste qu’on essaie d’effacer la réalité du vieillissement par la chirurgie esthétique ? Le risque n’est-il pas de se retrouver à la fin avec un drôle de visage, artificialisé ?
Contraints de fuir le nazisme, Hannah Arendt et Theodor Adorno quittent leur Allemagne natale. À New York, la première s’enthousiasme pour la…
Ronald Dworkin, spécialiste de philosophie du droit, dénoue les liens entre le religieux et le politique qui caractérisent la démocratie américaine. De son article « Trois questions à l’Amérique », paru dans la New York Review of Books,…
Le gouvernement vient de juger hors sujet les amendements relatifs à la pollution sonore, dans le cadre du grand projet de loi « Climat et…
La Cité des sciences et de l’industrie consacre une passionnante exposition aux déchets. L’occasion de découvrir que les tas d’immondices sont…
Mort, maladies, catastrophes… La technique nous prémunit, au moins en partie, des agressions de la nature. En ce sens, elle nous émancipe…
En ces temps de confinement, peut-être êtes-vous seul ? Enfin, pas vraiment puisque, pour Hannah Arendt, la solitude permet d’expérimenter un…
Mystique, voire franchement illuminé : c’est ainsi que Bergson s’est vu qualifié pour sa conception de la mémoire comme conservation intégrale du passé. Pourtant, chaque nuit, nos rêves nous dévoilent toute l’étendue des souvenirs que…
Adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 6 octobre dernier, le projet de loi relatif à « la restitution de biens culturels à la République du…