Antoine Grandjean : “Le principe de base du kantisme, c’est : ne jugez pas moralement, si ce n’est vous-même”
Il vous est arrivé de passer une soirée entre amis malgré le couvre-feu ou de retirer votre masque dans la rue sans y être autorisé ? Aussi compréhensibles soient-ils, ces petits écarts de conduite nous font souvent culpabiliser. Mais doit-on se reprocher de ne pas être moralement parfaits, dans la lutte contre le Covid ? Antoine Grandjean, professeur de philosophie contemporaine à l’université de Lille et auteur notamment de La Philosophie de Kant. Repères (Vrin, 2016), explique pourquoi Emmanuel Kant n’aurait pas forcément vu ces écarts d’un mauvais œil.
Respecter à la lettre les consignes sanitaires contre le Covid doit-il être considéré comme un « impératif catégorique » au sens de Kant ?
Antoine Grandjean : Il existe deux formulations essentielles de l’impératif catégorique kantien, c’est-à-dire deux versions du grand principe qui doit guider moralement nos actions : « agir de telle sorte que la maxime de notre action puisse être érigée en une loi universelle », et considérer autrui (et soi-même en tant que personne) « toujours en même temps comme une fin, jamais simplement comme un moyen ». À ce titre, toute situation concrète posant un problème éthique relève de cet impératif, dans l’une ou l’autre de ses versions. Mais il me semble que Kant n’aborderait pas la question tout à fait de cette manière. D’abord, il faut rappeler que Kant pose comme principe général de devoir respecter le droit. On ne doit transgresser la loi en vigueur que dans le cas où elle contreviendrait frontalement aux exigences de la conscience morale : par exemple, si un tyran me demande de mentir pour faire condamner un innocent, je me dois de lui désobéir, car mentir est toujours immoral. Dans le cas du Covid, il faudrait ainsi analyser au cas par cas chaque mesure sanitaire et chaque situation particulière pour voir s’il y a là occasion d’un conflit moral.
“Lorsqu’il a été interdit aux proches d’accompagner un mourant, cela aurait pu les conduire à se juger moralement fondés à désobéir”
Prenons l’exemple du port du masque dans la rue, que certains d’entre nous sont tentés de délaisser. Dois-je vraiment le porter tout le temps, même si l’efficacité sanitaire de cette mesure est limitée ?
Dans l’esprit de Kant, probablement, oui, car je dois par défaut respecter la loi : je ne serais tenu moralement de déroger à la règle édictée par l’État que si lui obéir, en portant le masque, signifiait pour moi léser un devoir éthique (ce qui ne semble pas être le cas). En revanche, il existe des situations où le droit et la morale entrent véritablement en conflit. De mon point de vue, cela a pu être le cas lorsqu’il a été interdit aux proches d’entrer dans une chambre d’hôpital pour accompagner un mourant ou de se rassembler à un enterrement. Là, il me semble qu’une violence éthique a été faite aux mourants et aux survivants, et que cela aurait pu les conduire à se juger moralement fondés à désobéir, si tant est qu’ils en aient trouvé les moyens.
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