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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Mathieu Poupon

Années 1920. Ils ont envoûté la philosophie (et le monde)

Wolfram Eilenberger, propos recueillis par Mathieu Poupon publié le 20 août 2019 19 min

Après la Première Guerre mondiale, l’idée de progrès comme l’héritage des Lumières sont réduits en cendres. Sur ces ruines, Martin Heidegger, Walter Benjamin, Ernst Cassirer et Ludwig Wittgenstein vont réinventer la philosophie. Cette épopée, Wolfram Eilenberger la raconte dans “Le Temps des magiciens”, best-seller en Allemagne qui vient de paraître chez Albin Michel. De la Forêt ­Noire aux passages parisiens, de la bibliothèque Warburg au sommet de Davos, il nous invite à un voyage dans une époque écartelée entre le génie et le monstrueux.

« Entre 1919 et 1929, l’Allemagne et l’Autriche connaissent une crise économique, politique et de civilisation profonde suite à la défaite de 1918. Le traumatisme de la Première Guerre mondiale remet en cause tout ce que signifient la culture, la vie humaine et l’héroïsme. Comment vivre dans une atmosphère si délétère ? L’urgence de la question provoque une incroyable explosion de créativité à laquelle pas un domaine de la culture n’échappe : économie, littérature, physique, chimie, philosophie… De même qu’en sciences, et particulièrement en physique, nous vivons encore sur ce qui a été inventé dans les années 1920 – les Einstein, Bohr et Heisenberg n’ont toujours pas été contredits –, la philosophie continue aujourd’hui de creuser le sillon entamé dans ces années-là. À cette époque très particulière de l’histoire de l’Europe, quatre philosophes germanophones s’emparent à nouveau de la question de l’être humain et redéfinissent les contours de sa culture : Ernst Cassirer, Walter Benjamin, Martin Heidegger et Ludwig Wittgenstein.

Le kantisme, soit la construction intellectuelle héritée des Lumières qui fait autorité jusque-là, est complètement remis en question. Après les tranchées, l’émancipation de l’être humain par le bon usage de la raison ne va plus de soi. Il n’est même plus si évident de pratiquer la philosophie ! À côté de la science et ses avancées spectaculaires, que peut-elle ? Comment rendre compte de la théorie de la relativité générale ou des prémices de la physique quantique ? Comment avoir ne serait-ce que quelque chose à en dire ? En 1919, il est très difficile pour un philosophe de déterminer sa fonction par rapport aux sciences et au reste de la culture.

C’est le point de départ de mon récit, dont les quatre personnages incarnent à leur façon cette interrogation. Cassirer, Benjamin, Heidegger et Wittgenstein vivent à peu près la même situation. Jeunes, immensément talentueux, mais traumatisés par leur expérience du front, ils ont un défi colossal à relever : réinventer leur vie personnelle, repenser les fondements de leur culture et refonder la légitimité de la philosophie. Ces difficiles et tumultueuses années 1920 se révèlent finalement un moteur essentiel de leur travail.

Le Temps des magiciens s’appuie sur cette idée que la crise est une bonne chose si vous êtes un philosophe. Je n’ai pas voulu écrire un livre sur la philosophie en tant que discipline académique, mais sur ce que cela signifie que d’exister philosophiquement, de vivre une vie pleinement philosophique. Il y a un lien très étroit entre la vie quotidienne et l’innovation intellectuelle, entre l’expérience vécue, la vie réelle, et les idées qui en naissent. Wittgenstein, Cassirer, Heidegger et Benjamin incarnent chacun une forme de vie philosophique qui a pris forme et s’est épanouie dans un lieu spécifique. » 

 

Martin Heidegger, à Todtnauberg (Forêt-Noire)

Martin Heidegger (1889-1976)

Œuvre clé : Être et Temps (1927)

Il appelle à reconsidérer la signification du monde, de l’Être, en réaction à une modernité qui couperait l’être humain de son mode d’existence authentique, le Dasein (« être-là »).

Postérité : l’existentialisme, qui insiste sur les actes de l’individu avant de proposer une définition de l’homme, et l’herméneutique, qui invite à une connaissance de soi via l’interprétation du monde.

« C’est Elfriede Heidegger, la femme de Martin, qui a l’idée, au cours d’une randonnée en février 1922, d’acquérir un terrain dans une région montagneuse du sud de la Forêt-Noire et d’y faire construire un chalet. Elle en dessine même les plans et en supervise la construction, épargnant à son mari le tracas des travaux. Heidegger n’a pas encore de poste fixe à l’université, bien qu’il écrive et travaille sans relâche. Mais avec ses deux enfants, le couple ne peut plus se permettre la précarité matérielle qui frappe alors la plupart des ménages allemands. Le chalet de Todtnauberg sera le lieu d’éclosion, d’explosion de la pensée heideggérienne. En plein cœur d’une nature sauvage, austère, quasi hostile, le philosophe a tout le loisir de développer sa critique de la modernité comme trahison de l’Être : en faisant du monde qui nous entoure une chose exploitable, la technique nous fait perdre le contact avec le sens de notre environnement. Le monde se donne, le monde est là, mais nous ne le voyons plus, comme si une vitre sale nous en interdisait la vue. Comment retourner au sens authentique du monde ? Toute la démarche de Hei­degger découle de ce questionnement. D’où l’importance pour lui d’un ancrage organique et originel dans un environnement vécu comme strictement personnel.

Heidegger revendique le sol natal, son paysage et les dialectes qui y résonnent. Ce désir d’authenticité, de fidélité à son environnement va jusqu’à lui faire adopter des tenues que ses collègues d’université jugent au mieux étranges, au pire excentriques – il porte la culotte de laine sombre des paysans des montagnes – et à prendre un ton de voix bas où les “r” roulent et grondent dans sa gorge comme un éboulement sourd. Mais c’est aussi ce qui le mène quelques années plus tard à prendre sa carte au parti nazi et à tendre une oreille favorable aux discours d’enracinement du peuple allemand dans un Lebensraum, un “espace vital”. L’antisémitisme de Hitler ne le choque pas non plus : on sait qu’il méprise Ernst Cassirer en raison de sa philosophie mais aussi de son judaïsme, et qu’il s’éloigne de son ami Karl Jaspers après son mariage avec une juive.

À Todtnauberg, Heidegger connaît à plusieurs reprises des fièvres d’écriture. À sa “chère petite âme” Elfriede, il écrit en septembre 1922 : “[J]e dois dire, quand je regarde les manuscrits du chalet que j’ai pris avec moi, qu’ils sont tout sauf mauvais.” Il travaille alors à des Interprétations phénoménologiques d’Aristote. Tableau de la situation herméneutique. Sans grand rapport avec Aristote, malgré les apparences, le manuscrit est une nouvelle tentative de cerner les contours de l’entreprise philosophique. “L’objet de la recherche philosophique est l’être-là [Dasein] humain pour autant qu’il est interrogé en direction de son caractère d’être”, avance-t-il. Pour la première fois apparaît le concept central de Dasein : il désigne un mode d’être, celui exclusif de l’être humain, qui implique d’être sans cesse interpellé par le monde et de lui chercher un sens. Face aux choses qui n’ont pas conscience de leur existence, le Dasein peut se rapporter à lui-même et se projeter dans l’avenir, ce qui le confronte inévitablement à l’angoisse de sa propre mort. Ce mode d’être n’a donc rien d’une plénitude, bien au contraire, il s’agit d’une posture existentielle exigeante et inconfortable.

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Article issu du magazine n°132 août 2019 Lire en ligne
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