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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Édouard Caupeil pour PM

André Comte-Sponville / Ovidie. Dialogue sous X

Ovidie, propos recueillis par Michel Eltchaninoff publié le 21 février 2013 16 min

Quand un philosophe, moraliste amoral, rencontre une star du porno soucieuse d’offrir une conscience au genre, cela fait des étincelles. Suffisantes pour éclairer le mystère du désir ?

 

Ce n’est pas tous les jours qu’on assiste au dialogue entre un philosophe et une pornostar, et, à vrai dire, nous craignions que la chose soit difficile ! C’était une matinée d’hiver froide et grise, nous avions rendez-vous dans un petit salon particulier de l’hôtel Renaissance-Le Parc, dans le XVIe arrondissement de Paris. Nous y avons passé deux heures et l’on peut dire que l’échange entre Ovidie et André Comte-Sponville a dépassé toutes nos espérances. Ovidie, ancienne actrice de films X passée avec succès à la réalisation et à l’écriture, a donné le ton : ce n’est pas en égérie ni en provocatrice, mais en analyste distanciée, qu’elle a pris la parole. Quant à André Comte-Sponville, s’il a donné à son essai sur la sexualité, paru l’année dernière, ce titre éloquent : Le Sexe ni la mort – détournant une célèbre maxime de La Rochefoucauld, « le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement » –, c’était évidemment pour faire un pied de nez à la pornographie omniprésente. Pour signaler qu’il y a dans la vie érotique une dimension irréductible au visible. Au cours de la conversation, si des désaccords sont apparus, notamment quant à la vision des rapports entre hommes et femmes, André Comte-Sponville et Ovidie sont néanmoins tombés d’accord sur un point central : il y a dans la sexualité humaine une force qui résiste à tous les efforts de banalisation. Nous n’en aurons jamais terminé avec l’obscurité du désir – et c’est là toute notre chance.

 

Ovidie : La sexualité est ambivalente. D’une part, c’est une activité « saine », je veux dire par là qu’elle participe au bien-être, qu’elle est nécessaire au plein épanouissement physique et psychologique. On ne peut avoir un rapport serein à son environnement lorsqu’on a une sexualité dysfonctionnelle ou absente. Un homme qui n’est pas épanoui sexuellement risque d’adopter une attitude agressive vis-à-vis des femmes, qui se traduira parfois par des passages à l’acte – le cas le plus extrême étant le viol –, et plus souvent par des propos dépréciatifs ou insultants. Chez les femmes, la privation sexuelle se manifeste plus généralement par une certaine éviction sociale, par une attitude de retrait, par le sentiment de ne pas être à sa place. Cependant, aussi « saine » soit-elle, la sexualité n’est jamais innocente ; il ne s’agit pas simplement de bien se nourrir ou de pratiquer un sport. Les animaux ont une sexualité innocente, mais chez l’humain, l’acte sexuel est toujours chargé d’une intentionnalité, il met en jeu des représentations qui ne sont pas anodines et qui engagent des conséquences pour l’identité personnelle.

 

André Comte-Sponville : Je suis d’accord ! Oui, la sexualité fait partie du bien-être, et même de la santé (l’incapacité à avoir des rapports sexuels relève de la pathologie). De tous les désirs non vitaux, le désir sexuel est le plus fort. J’ai tendance à penser, avec Freud, qu’il est aussi à l’origine de l’amour, par la sublimation, voire de tous nos idéaux. L’orgasme est le plus vif de tous nos plaisirs corporels, voire spirituels. Qu’avons-nous vécu de meilleur ? Et en même temps, vous avez là aussi raison : la sexualité humaine n’est jamais anodine ni tout à fait innocente. S’agissant du rapport entre sexualité et morale, j’ai l’impression que nous sommes passés d’une erreur à une autre. La première erreur a duré presque vingt siècles d’Occident chrétien : elle consistait à diaboliser la sexualité. À la suite de saint Augustin, qui voulait s’arracher à ce qu’il appelait « la boue de la concupiscence » (après avoir vécu de longues années de débauche avant sa conversion), le sexe a été l’objet d’une condamnation morale. Saint Augustin va très loin : faire l’amour est un péché mortel lorsque les partenaires ne sont pas mariés, et un péché véniel, entre époux, lorsque le coït tend au plaisir plutôt qu’à la procréation ! Nous sommes heureusement sortis de ces pudibonderies. Mais ce fut pour tomber dans une erreur inverse : on est passés de la diabolisation à la banalisation. Dans les années 1970, sous couvert de libération, on a présenté la sexualité comme un loisir innocent, aussi anodin que de partager une bouteille de vin ou une partie de tennis. C’est une illusion. Il y a bien une tension entre la morale et la sexualité : jouir du corps d’un autre ne va jamais, moralement, sans une part de transgression. La morale nous commande de considérer l’autre comme une personne, de lui manifester du respect, de le traiter toujours comme une fin, disait Kant, jamais seulement comme un moyen. Or, faire de l’autre un objet, profaner sa dignité plutôt que la respecter, le traiter ou s’offrir à lui comme un moyen plutôt que comme une fin, ce n’est peut-être pas moral, mais, sexuellement, qu’est-ce que c’est bon ! C’est justement parce que la sexualité suspend les barrières morales qu’elle est à ce point délectable.

 

O. : Là, il y a un point de divergence entre nous ! Je ne crois pas que la transgression soit indispensable au plaisir sexuel et je rejette l’idée selon laquelle la jouissance passerait forcément par le fait de réifier son partenaire, d’en faire sa chose. Si je me réfère à ma propre expérience, mes plus grands orgasmes ont toujours eu lieu dans des situations d’ouverture totale à l’autre, sans perte de dignité ni sensation d’effraction. Je ne jouis pas du corps de l’autre, je jouis avec l’autre. L’idée que le plaisir découlerait d’un petit jeu entre « sujet » et « objet » me paraît non seulement datée, mais de surcroît majoritairement masculine. Il y a ici un malentendu entre les hommes et les femmes. Beaucoup d’hommes voient dans le coït une sorte d’acte conquérant. Moi, j’emploierais de préférence une autre métaphore. Lorsque j’invite des gens à dîner chez moi, le fait qu’ils pénètrent dans mon salon n’implique pas qu’ils s’approprient mon chez-moi. De même, ouvrir ses jambes à son partenaire, c’est l’accueillir avec bienveillance dans son antre. Et ce n’est pas tellement agréable si l’on a l’impression que l’invité veut empiéter sur votre territoire ou vous manquer de respect. Sur un plan plus philosophique, l’idée que la transgression serait une sorte d’ingrédient indispensable à la jouissance me paraît rétrograde, c’est une conception que défendent ceux qui ont trop lu Bataille ou méconnaissent la quatrième génération du féminisme issu de la libération sexuelle.

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