Ovidie : “À présent, la porte de ma chambre est fermée à double tour”
La réalisatrice et écrivaine Ovidie vient de publier La Chair est triste hélas dans la collection Fauteuse de trouble chez Julliard (2023), où elle explique pourquoi et comment elle a « arrêté le sexe avec les hommes ». Rencontre.
« Un jour, je n’ai plus pu. » C’était il y a quatre ans et, à la lire, on apprend qu’Ovidie a vécu ce saut comme ceux qui réalisent leur rêve de devenir végétarien, comme une libération. Qu’est-ce qui a préparé sa décision ? « Il n’y a pas eu de préavis de grève. En fait, le processus s’apparente à l’accumulation de fatigue qui précède le burn-out. Ce ne sont pas seulement les sept minutes réglementaires du coït hétérosexuel qui m’ont épuisée, mais tout ce qu’il y avait autour. J’ai l’impression qu’il faudrait quasiment poser une RTT pour être désirable, avec ces ongles à vernir, ces jambes à épiler, ces rides à effacer, ce poids à perdre, ces racines des cheveux à cacher. Et puis toutes ces minauderies, cette danse de la relation qui occupe une telle place. Sans parler du service après-vente, entre les doses de Monuril parce qu’on a une cystite ou les mycoses parce que Monsieur ne s’est pas lavé les mains. L’hétérosexualité en tant que système, en tant que régime politique, m’a pesé, c’était peu après #MeeToo, et je me suis mise en grève. »
D’accord, mais on ne peut s’empêcher d’observer qu’aujourd’hui, dans cette brasserie parisienne, Ovidie porte des bijoux fantaisie, un rouge à lèvres impeccable, et qu’elle a demandé une sucrette pour son jus de citron. Est-elle si affranchie du regard d’autrui ? « Je dépense beaucoup moins d’argent qu’autrefois. Je ne suis plus allée chez une esthéticienne depuis quatre ans. Ma crème de chez Lidl à 2,90 euros me va très bien. Je me fais des couleurs Movida dans ma baignoire. Quand je pense que je suis allée jusqu’à dépenser un demi-Smic en cryolipolyse, pour me faire congeler les escalopes, que j’ai tué mes propres adipocytes qui vivaient leur vie tranquillou-bilou… »
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Revenons à la grève du sexe : est-ce le comportement des hommes qui l’a motivée ? « Que ce soient avec les hommes qui m’ont passé la bague au doigt ou mes amants éphémères, j’ai eu le sentiment que mon plaisir était optionnel. Les hommes sont éduqués à baiser tout seuls, comme l’explique Despentes : quand ils veulent faire jouir l’autre, c’est encore pour accomplir leur puissance. Ils ont ce côté conquérants qui partent à l’assaut de la citadelle, à qui ils demandent en plus d’avoir une jolie porte. Ou bien, chiens qui pissent sur le premier lampadaire venu. En quittant l’hétérosexualité, j’ai retrouvé du temps et de l’énergie pour moi, pour passer ma thèse en sciences humaines sur la narration de soi, écrire mon livre. Cette grève du sexe correspond à une reprogrammation qui m’a d’ores et déjà été bénéfique, dussé-je changer d’avis. » Parce qu’il y a hésitation sur la suite ? « À présent, la porte de ma chambre est fermée à double tour. Mais j’arrive à mes derniers ovocytes, et le désir d’un deuxième enfant me traverse parfois. »
Le ton de cette conversation est comme celui de son livre : direct, émaillé de punchlines. Moins dans l’exposition d’une théorie que d’un choix de vie. Une question : est-ce que, dans un couple hétéro, on est condamné à rejouer le match de l’homme contre la femme, perdant pour cette dernière ? Ou est-il possible de se parler, de s’engueuler, d’inventer une relation différente ? « Je le souhaite, mais, dans mon cas, cela n’a pas été possible. Je vois mes amies tomber dans les mêmes schémas, y compris une féministe convaincue qui a fini par se mettre avec un bûcheron – véridique. J’observe que les hommes ne sont pas prêts à la politisation de l’intime. Le drame de ma vie, ce sont tous ces mecs de gauche qui baisent comme des mecs de droite. Plus ils proclament des idéaux égalitaires, plus ils ont une idée derrière la tête. Alors, j’aspire plutôt à l’amitié, voire à une forme d’amour fraternel avec quelques hommes. C’est apaisant. Mais notez bien que ce n’est pas un projet de société : j’évoque avant tout une quête d’autonomie. »
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