“Ainsi parlait Zarathoustra”. Le livre de toutes les audaces

Dates clés
1844 Il naît à Röcken.
1868 Il rencontre Richard Wagner, qu’il adule d’abord, puis finit par conspuer comme symptôme de la lourdeur allemande.
1872 Il publie son premier essai, La Naissance de la tragédie. Sa lecture personnelle des textes anciens lui permet de distinguer deux tendances à l’œuvre dans l’art, l’apollinien et le dionysiaque. Elle suscite l’incompréhension de ses pairs philologues.
1879 Il quitte l’université pour se consacrer à l’écriture et au voyage.
1882 Il rencontre Lou Andreas-Salomé.
1883 Wagner meurt. Nietzsche publie le premier livre d’Ainsi parlait Zarathoustra.
1889 Il s’effondre à Turin, puis reste aphasique.
1900 Il meurt à Weimar.

Si on lance une recherche sur le lac d’Orta et la colline qui le surplombe, le Monte Sacro, on tombe sur quelques belles photos de la région des grands lacs en Italie, des itinéraires de promenade pour ne manquer aucune des chapelles des XVI^e et XVII^e siècles cachées sur les pentes surplombant le lac, toutes dédiées à la vie de saint François d’Assise, et des conseils d’escapades romantiques sur l’île de San Giulio. Nulle part n’est mentionné qu’un jour de mai 1882, Friedrich Nietzsche et Lou Andreas-Salomé ont passé de nombreuses heures, seuls, à arpenter le Monte Sacro. La promenade avait pourtant commencé sous le chaperonnage du meilleur ami de Nietzsche, Paul Rée, et de la mère de la jeune femme. Avec Rée, Nietzsche et Andreas-Salomé forment depuis quelques mois une « trinité », un triangle amoureux qui commence à faire jaser et à susciter l’embarras de leurs familles respectives. Mais ce jour-là, Nietzsche obtient enfin ce dont il rêve depuis plusieurs semaines : un moment seul avec celle qui a pourtant refusé sa demande en mariage, un peu trop pressée et pressante, quelques mois plus tôt. On n’a aucune idée de ce qu’il s’est passé entre les deux amants présumés platoniques, puisque aucun des protagonistes ne s’est étendu sur le sujet. C’est tout juste si Lou Andreas-Salomé fait mine, à la fin de sa vie, d’avoir perdu la mémoire : « Ai-je embrassé Nietzsche sur le Monte Sacro – je n’en sais plus rien », écrit-elle alors à un ami.

Nul doute que redescendre du Monte Sacro a été difficile pour Nietzsche. Peut-être se souvient-il de cette sensation à la fois de tristesse et d’euphorie, lorsqu’il entame l’écriture des premiers livres d’Ainsi parlait Zarathoustra en janvier 1883. Sur le modèle d’un évangile parodique qui renierait toute religion, il met en scène une sorte de prophète qui, après dix ans passés dans une caverne, prend la décision de descendre parmi les hommes pour leur annoncer la mort de Dieu et la possibilité, désormais, de devenir des surhommes. « De la montagne Zarathoustra descendit seul », après s’être adressé au soleil : « Ainsi me faut descendre dans les fonds comme le soir tu fais lorsque derrière la mer tu descends et du monde d’en bas portes lumière, astre qui surabondes ! » Emphase, images poétiques, paraboles et récit initiatique : le ton est donné pour l’un des ouvrages les plus singuliers de Nietzsche.

“Avec ce livre, j’entre dans un nouveau ‘‘cycle” – désormais je compterai en Allemagne parmi les fous”
Friedrich Nietzsche