Suburbia

Suburbia ne signifie pas « banlieue » mais extension des villes au-delà de leurs limites, dissolution de l’urbain dans un espace qui n’a plus de centre ni de périphérie. Une suburbia ne donne que sur d’autres suburbias, indéfiniment. Tandis que les centres urbains traditionnels se convertissent en musées surannés, la suburbia abrite le laboratoire des passions, des angoisses et de la création de demain. La bretelle d’autoroute et le scintillement lumineux infini y sont les seuls points de repères. On n’y flâne plus, on y affronte un vide intense. La construction y prolifère mais l’habitat y disparaît, l’individu hypermobile y est rendu à sa nudité. Telle est la thèse de Bruce Bégout dans cet ensemble de textes qui composent un manuel de survie autant qu’un traité de philosophie. Héritier du chiffonnier de Walter Benjamin, Bruce Bégout récupère le rebut de la machine à rêve. Il scrute les cimetières de néons de Las Vegas. Il sonde le désir de catastrophe sous la fièvre de Los Angeles. En concentrant les hommes, la ville exacerbe leurs passions. L’énergie de leur rencontre se double d’un immense désir d’évitement. Ces tensions contradictoires et invivables, d’abord anesthésiées par le spectacle et la marchandise, le sont désormais par la circulation infinie. Entre le vide originel de l’être-ensemble et la domestication absolue, l’immense nappe urbaine déploie ses audaces et ses leurres. Depuis Zéropolis et La Découverte du quotidien (tous deux parus chez Allia), en passant par la fiction et le cinéma, Bruce Bégout entrevoit sans joie ni déploration ce qui ressemble à un monde nouveau.