Religion sans Dieu

Une recension de Victorine de Oliveira, publié le

1. Pour un athéisme religieux

Un oxymore à première vue : la religion pourrait-elle se passer de Dieu ? Dworkin, lui, considère la religion avant tout comme un acte, une « attitude » qui consiste à reconnaître deux valeurs (qu’il affirme comme telles) : le sens et l’importance objective de la vie humaine, et le caractère sublime de la nature et de l’Univers. Dworkin définit ainsi une « métaphysique de la valeur », qui n’est pas sans rappeler les postulats de la raison pratique de Kant. Seule différence (énorme) : l’acte de foi est assumé en tant que tel, plus besoin d’un « être surnaturel » pour continuer de croire. Théorie des cordes, plurivers et autres hypothèses de la physique quantique permettent d’évacuer l’idée d’un dieu personnifié cause et origine de tout.

 

2. La liberté religieuse, un droit général

Dworkin propose que les convictions religieuses qui ont droit d’être protégées par l’État soient identifiées « par leur contenu et non par la ferveur avec laquelle elles sont entretenues ». Autrement dit, la focale publique se déplace des pratiques (interdits alimentaires, signes vestimentaires…) aux valeurs. C’est pourquoi, selon Dworkin, la liberté religieuse devrait relever politiquement, non de droits spéciaux à des libertés particulières, mais d’un droit général à une « indépendance éthique », qui repose sur les valeurs qu’exprime l’attitude religieuse telle que la définit Dworkin. Quant aux pratiques des religions ainsi reconnues, elles bénéficieraient de la totale neutralité du gouvernement.

 

3. Une immortalité éthique

Mathématiciens et astrophysiciens construisent l’image d’un univers beau par l’équilibre de ses lois mêmes. C’est le caractère inévitable de ces lois qui participe de « la conviction religieuse que [l’Univers] irradie une beauté réelle ». Comme dans un tableau de Raphaël ou dans une symphonie de Mozart, rien ne saurait être changé sans en briser l’évidente perfection. La physique quantique donne à Dworkin l’occasion d’une rêverie poétique sur l’âme qui se disperserait en quantas de particules après la mort… Ce n’est pourtant que pour mieux revenir à l’idée d’une immortalité atteinte éthiquement, à travers « la conviction qu’il existe, de manière indépendante et objective, une manière juste de vivre ».

Sur le même sujet
Article
3 min
Cédric Enjalbert

Le philosophe du droit Ronald Dworkin est décédé le 14 février, à l’âge de 81 ans, à Londres. Peu connu en France, sa mort est passée quasiment inaperçue. Il était pourtant l’un des intellectuels majeurs aux Etats-Unis. Son expertise…


Article
7 min
Sudipta Kaviraj

La troisième édition du Festival Mode d’Emploi organisé par la Villa Gillet, se tiendra du 17 au 30 novembre 2014. Voici en avant-première le texte proposé par le politiste Sudipta Kaviraj, qui interviendra le dimanche 23 novembre 2014…


Article
10 min
Claude Habib

Pourquoi les Américains nous reprochent-ils, à nous Français, d’être incohérents quand nous défendons la liberté d’expression tout en interdisant…

France / États-Unis. La bataille de la tolérance



Article
2 min
Cédric Enjalbert

Anonyme, “Le Planteur d’homme”, vers 1790


Article
7 min
Michel Eltchaninoff

Au cours du XXIe siècle, malgré d'ultimes sursauts identitaires ou spiritualistes, les religions pourraient être vouées à disparaître sous l'effet de la sécularisation et des avancées scientifiques qui vident de leur sens le…