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Muriel Robin à La Rochelle le 14 septembre 2023. © Laurent Vu/Sipa

Un classique éclaire le présent

Pénétrable, désirable, exploitable : quand Muriel Robin s’inspire d’Andrea Dworkin

Michel Eltchaninoff publié le 19 septembre 2023 5 min

La comédienne Muriel Robin a dénoncé samedi soir dernier, à la télévision, l’ostracisme dont seraient victimes les personnes ouvertement homosexuelles au cinéma. Selon elle, les actrices et les acteurs doivent répondre aux normes du désir hétérosexuel. Et de conclure : “Quand on n’est pas pénétrable, on n’est pas désirable.” C’est exactement le thème du livre-culte de l’essayiste féministe Andrea Dworkin, Coïts (éditions Syllepse et Remue-Ménage, 2019). Explications.


Paru en 1987 aux États-Unis – mais traduit en français en 2019 seulement par les éditions Syllepse et Remue-Ménage –, Coïts est une charge contre l’acte sexuel hétérosexuel. Son autrice, Andrea Dworkin, née en 1946 dans le New Jersey, subit un examen gynécologique brutal après avoir été arrêtée lors d’une manifestation contre la guerre du Vietnam. L’homme qu’elle épouse, un militant anarchiste, la bat. Divorcée, elle se retrouve sans ressources et doit quelquefois se prostituer. Après avoir découvert la pensée féministe, elle publie un ouvrage sur « la haine des femmes ». Opposée à la pornographie comme à la prostitution, elle devient une figure majeure du féminisme, disparue en 2005.

“L’homme exprime dans la baise la géographie de sa domination”
Andrea Dworkin

 

Son ouvrage le plus célèbre décrit sans fards l’acte sexuel comme « un acte de possession par lequel, durant lequel, à cause duquel un homme investit une femme, la couvrant physiquement et la maîtrisant en même temps qu’il la pénètre ». Dworkin emploie certes le termes clinique et neutre de « coït » (« intercourse », en anglais), mais parle surtout de « baise » (« fuck »), mot qu’elle répète volontairement de façon provocatrice, jouant sur le tabou qu’elle juge hypocrite du f*** word (« mot en F »). La radicalité est ici au service de la pensée. Le coït est bien d’après elle une « reddition physique » car « il l’occupe et règne sur elle ». Cet « acte colonisant, contraignant (viril) ou quasi violent » consacre tout simplement, que l’on soit un adepte des lois de la nature ou de l’ordre religieux traditionnel, « la domination masculine ». Comme cet acte célèbre la virilité masculine libérée de toute entrave, il a pour condition « l’effacement de la femme en tant que personne », qui « cesse d’exister comme individu distinct ». Le coït ou la « baise » sont la preuve répétée à l’envi de cette sujétion de la femme à l’homme. Les uns et les autres en sont parfaitement conscients, même s’ils « romantisent » ou érotisent ce moment. Bref, pour les femmes, être possédée par un homme est, dit Dworkin, « banal » : « L’homme exprime dans la baise la géographie de sa domination ». Et quand la femme est usée par tant de violence, « l’amant se débarrasse du corps usé jusqu’à la corde ; il le jette, chose vieille et inutile, évidée, comme une bouteille vide ».

Cette vision désenchantée de l’acte sexuel entre hétérosexuels inspire aujourd’hui ceux qui cherchent à se débarrasser du triptyque préliminaires-pénétration-éjaculation comme modèle narratif de l’acte dit d’amour. Elle transparaît dans les propos de Muriel Robin. Si, d’après la comédienne, il faut, pour être accepté dans le milieu du cinéma, adopter les normes du désir hétérosexuel, révéler son homosexualité, comme elle l’a fait depuis longtemps, dévalorise l’acteur ou l’actrice dont le spectateur de sexe opposé n’aura, par exemple, pas envie d’épingler sa photo sur le mur de sa chambre.

Ces vigoureuses déclarations méritent de passer à l’examen. Les actrices et acteurs ouvertement homosexuels n’existent-ils pas aujourd’hui au cinéma ? Quoi qu’il en soit, avec sa formule selon laquelle quand on « n’est pas pénétrable, on n’est pas désirable », Muriel Robin, avec la même vigueur qu’Andrea Dworkin, met le doigt sur un modèle esthétique, social qu’elle considère encore ultra-dominant.


Extrait de Coïts, d’Andrea Dworkin : « L’appropriation et la baise sont des expériences pratiquement synonymes dans la vie des femmes »

« Les femmes ont été un cheptel pour les hommes, au titre d’épouses, de prostituées, de servantes sexuelles et reproductrices. L’appropriation et la baise sont ou ont été des expériences pratiquement synonymes dans la vie des femmes. Il te possède ; il te baise. La baise communique la nature de l’appropriation ; il te possède sous toutes tes coutures. La baise communique la passion de sa domination : elle exige son accès au moindre recoin de ton corps. Il peut posséder tout ce qui t’entoure et tout ce que tu portes et tout ce dont tu es capable comme travailleuse ou domestique ou parure ; mais te pénétrer et s’approprier tes entrailles est de la possession : plus profonde, plus intime que tout autre genre d’appropriation. Intime, brute, totale, la possession sexuelle est réelle au sens strict pour les femmes, sans la moindre dimension magique ou mystique : être baisées et être l’objet de cette appropriation est inséparable et identique ; réunies, du fait d’être identiques, ces réalités constituent le rapport sexuel pour les femmes dans le système social de domination masculine. L’homme exprime dans la baise la géographie de sa domination : le sexe de la femme, l’intérieur de son corps font partie de son domaine en tant qu’homme. Il peut la posséder à titre individuel – être son roi et maître – et exprimer ainsi un droit privé de propriété (le droit privé lié à sa classe de sexe) ; ou il peut la posséder en la baisant de façon impersonnelle et exprimer ainsi un droit collectif de propriété, sans mascarade ni manières. La plupart des femmes ne sont pas des individus spécifiques, distincts, aux yeux de la plupart des hommes, ce qui fait que la baise tend vers une assertion collective de leur domination. Les femmes vivent à l’intérieur de cette réalité de l’appropriation et de la baise : c’est là qu’elles ressentent les choses ; le corps apprenant à réagir à ce que la domination masculine offre comme contact, comme rapport sexuel, comme amour. Pour les femmes, être possédées constitue le rapport sexuel appelé à répondre au besoin d’amour ou de tendresse ou d’affection physique ; cela en vient donc à signifier, à illustrer l’intensité du désir ; et l’appropriation érotique par un homme qui vous prend et vous baise est une affirmation physiquement chargée et importante de la condition féminine ou de la féminité ou du fait d’être désirée. »

Coïts d’Andrea Dworkin est paru en français aux éditions Syllepse et Remue-Ménage en 2019 (224 p., 20 €). Il est disponible sur le site des éditions Syllepse et chez votre libraire.

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