Postcritique

Une recension de Martin Duru, publié le

« Aujourd’hui, où en sommes-nous, quel est le souci ? », « Maintenant, pour sortir de l’impasse, que faire ? » Tout manifeste se doit d’embrasser ces deux questions pressantes. En voici un, de manifeste. Son maître d’œuvre, Laurent de Sutter, dresse dès l’entame un constat sur le présent et identifie une cible privilégiée : « Nous vivons l’âge du triomphe de la critique ». Le terme s’entend en un sens très (trop ?) large : sont visées aussi bien la théorie critique universitaire, la critique d’art et littéraire, la notion même d’esprit critique hérité des Lumières, etc. Or c’est là un mode de pensée qui « nous rend bêtes », notamment parce que la critique prétend détenir la vérité, assumant une position normative d’autorité, en surplomb. Pour s’en débarrasser et passer au stade alternatif « postcritique » – le préfixe post – est à la mode depuis des lustres ! – de Sutter a réuni en un ensemble foisonnant des intellectuels issus de la nouvelle génération. Il sera question de savoir, de technique, de marketing, de mœurs, de droit, de philosophie aussi…

Comment se décline l’ambition ? Quelques exemples : dans le champ de la critique d’art, l’éthique postcritique consiste à faire « l’exégèse » passionnée des œuvres adorées plutôt que de les catégoriser et de les hiérarchiser (texte de Pacôme Thiellement) ; sur le plan existentiel, elle démultiplie les « manières de voir, de sentir et de vivre » au lieu de se soumettre aux canons moraux dominants (Dorian Astor) ; dans la pensée, elle suppose de « laisser être » les individus dans leur singularité, sans les ramener exclusivement à leur contexte d’apparition (Tristan Garcia). La tonalité globale, notons-le, est assez proche de Deleuze. Pour le philosophe lui-même post- (poststructuraliste en l’occurrence), le jugement et l’interprétation étaient les ennemis à abattre ; à rebours, il fallait sans cesse expérimenter et créer du nouveau. Alors, pour singer deux autres auteurs d’un manifeste culte, Marx et Engels, on pourrait dire : les critiques n’ont fait qu’interpréter le monde ; ce qui importe pour les postcritiques, c’est de le transformer.

Sur le même sujet






Le fil
1 min

L’avantage d’ouvrir un livre signé Pacôme Thiellement, c’est que vous ne savez jamais trop à quoi vous attendre. Dans L’Enquête infinie, son nouvel essai (PUF,…

Pacôme Thiellement face aux énigmes du Sphinx