Les grandes villes et la vie de l'esprit.

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Il fut le premier à sentir la ville et percevoir la rupture anthropologique qu’allait représenter notre entrée dans la condition urbaine. En 1902, Georg Simmel, philosophe et sociologue allemand, vit à Berlin, dont la population a doublé en trente ans pour prendre les traits de ce que seront nos métropoles. Pour Simmel, la ville est d’abord une expérience nouvelle, corporelle, sensible, qui accouche d’un mutant : un homme rendu nerveux par les sollicitations sensorielles permanentes et multiples, s’en protégeant par l’intellect, devenant blasé et réservé, évitant le contact physique, dérangé par les bruits, les voix et les odeurs, à mesure que, paradoxalement, son acuité perceptive réelle s’émousse. Tandis que l’urbain devient hypoesthésique, son intellectualité s’épanouit, au risque d’un étouffement de sa vie subjective. Ce pourquoi d’ailleurs, souligne Simmel, Nietzsche – son presque contemporain – hait tant les grandes villes, mais aussi pourquoi il est si passionnément aimé du citadin, auquel il apparaît « comme le messager et le sauveur de sa propre nostalgie la plus insatisfaite ». Relire aujourd’hui ces deux textes de Simmel, Les Grandes Villes et la Vie de l’esprit et Sociologie des sens (qui sont édités ensemble en poche, Petite Bibliothèque Payot, 6,60 €), c’est entendre le récit de ce basculement dans la modernité urbaine avec le souvenir d’une autre sensibilité de l’homme à lui-même, aux autres et à la nature. Comment se déterminera « le rôle du sujet à l’intérieur de la totalité » ? Là se joue, pressent Simmel, « l’histoire de notre temps ». Bien vu !

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