“De Guy Georges à Xavier Dupont de Ligonnès, les grandes affaires criminelles portent toutes une dimension métaphysique”
Pourquoi les affaires criminelles nous fascinent-elles autant ? Interrogeant dans Le Goût du crime (Actes Sud, 2023) les motifs profonds qui conditionnent leur propre rapport passionné au crime, les deux frères philosophes Emmanuel et Mathias Roux livrent une lecture fine et argumentée de quelques « grandes » affaires. Où la philosophie, comme questionnement, peut nous éclairer à penser le mystère du passage à l’acte.
Vous assumez dans votre réflexion avoir le “goût du crime” quand, à l’inverse, l’opinion commune porterait à défendre moralement le dégoût du crime – alors même que les séries télé et les romans s’en inspirent grandement. Comment pourriez-vous définir ce goût ? D’où vient-il chez vous ?
Mathias Roux : Le goût pour l’affaire criminelle n’est bien sûr pas réductible à un goût morbide pour le crime ! Ce que nous appelons le goût du crime surgit au moment où le crime devient « affaire », qu’il quitte son strict statut pénal ou criminologique pour devenir un fait social, un fait culturel, parfois un fait politique, en tout état de cause un objet de pensée. Ce qui nous fascine est précisément cette capacité du crime à se transformer en affaire criminelle dans laquelle il se joue beaucoup plus que le crime lui-même. Notre livre est née de la volonté de comprendre les ressorts de ce qui transforme le crime en affaire, au-delà du statut de « fait divers ». Mais nous n’avons pas voulu faire un livre académique, plutôt nous interroger sur les raisons de notre propre attraction afin de décrypter aussi l’intérêt de la société en général.
“L’idée de vérité est constamment mise à l’épreuve dans l’affaire criminelle”
En quoi, de manière générale, la philosophie et les sciences humaines peuvent-elles nourrir la réflexion sur le mystère du crime ?
Emmanuel Roux : Elles le peuvent bien évidemment sur de multiples plans, comme tout phénomène qui questionne notre condition humaine ! L’affaire criminelle pose des questions sociologiques, criminologiques, psychanalytiques, politiques et philosophiques. Mais les sciences humaines et les sciences sociales n’en épuisent pas l’approche car nous montrons que nous sommes rapidement confrontés à des apories pour penser le crime, c’est-à-dire l’expliquer et le comprendre. De ce point de vue, la philosophie comme questionnement, et la littérature comme narration sont des médiations indispensables pour penser le crime et l’affaire criminelle.
Vous citez une phrase du psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis extraite d’Un jour, le crime (Gallimard, 2011) : “L’élucidation de l’affaire ne sort pas le crime de l’ombre.” En quoi toute grande affaire permet-elle de faire ce que vous appelez “l’épreuve philosophique du vrai à travers la mise à l’épreuve de l’idée de vérité” ?
E. R. : L’idée de vérité est constamment mise à l’épreuve dans l’affaire criminelle. D’abord parce qu’elle suscite une volonté de savoir, d’établir les faits, de recueillir les aveux, et par le procès, de provoquer chez l’accusé une épiphanie du sens de son acte. Ensuite, parce qu’elle confronte entre eux des régimes de vérité comme dirait Foucault. Ainsi, par exemple, la « vérité judiciaire », délivrée par le verdict et fondée sur l’intime conviction des jurés, peut ne pas correspondre à la vérité au sens scientifique du terme, à savoir une forme d’accord entre le réel et la représentation que s’en fait l’esprit. De ce fait, l’affaire criminelle nous met en situation de réfléchir à l’idée de vérité en général et à nous poser des questions du type « à quelles conditions un indice devient-il une preuve fondant la certitude ? ». Et, parce que certaines affaires criminelles nous confrontent en permanence à la difficulté, voire à l’impossibilité d’établir une fois pour toutes les faits, comme l’affaire Grégory ou l’affaire Godard, elles nous mettent dans l’obligation de distinguer le vraisemblable du probable du possible, du douteux etc. – et, ce faisant, offrent là encore l’occasion d’approfondir plus précisément que dans le vie ordinaire le problème philosophique classique de la vérité.
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