Le Témoin jusqu’au bout

Une recension de Jean-Marie Durand, publié le

« Je veux témoigner jusqu’au bout », avouait dans son Journal de 1942-1945 Victor Klemperer, l’auteur du livre LTI, la langue du IIIe Reich, monument littéraire décrivant la structure du langage nazi. Que faut-il entendre par ce « jusqu’au bout », se demande Georges Didi-Huberman, ému par la beauté de la langue de Klemperer ? Témoigner jusqu’au bout, « c’est ne pas éviter de s’inclure soi-même dans ce dont on témoigne » ; c’est mettre au jour une « certaine vérité des émotions », clivée entre terreur et désir d’y résister. Si Klemperer témoigne des événements et des faits de langage du IIIe Reich, ceux-ci ne sont jamais « disjoints des affects qu’ils ont fait surgir chez celui qui les a subis ». Témoigner pour les autres et écrire ce que l’on éprouve soi-même procède d’une même volonté : ne pas céder à la brutalisation du totalitarisme qui ne vise qu’à rendre apathique, privé de son temps et de ses subjectivations. Se déployant comme une écriture pure de la détresse, son journal laisse étrangement place à l’énergie de comprendre, à une « façon de retrouver le sens du partage ». Face au mal, le témoin sensible persiste dans l’écriture, malgré tout ce qui s’oppose à l’idée même d’une espérance. « Une grande part de son endurance lui est venue de la possibilité éthique qu’il lui fallait, à chaque fois, coûte que coûte, ouvrir dans l’espace du malheur », souligne le philosophe ; « cela passait par une extrême sensibilité au temps, une façon de savoir attendre ; s’obliger à voir que les choses peuvent devenir ». C’est cette possibilité d’un devenir, enchâssée à l’expression « malgré tout », qu’offre la lecture de Klemperer par Didi-Huberman à des lecteurs, affectés et ressourcés.

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