Orwell et Klemperer : les novlangues totalitaires
Simultanément mais séparément, Victor Klemperer et George Orwell ont formulé la même analyse, au sortir de la Seconde Guerre mondiale : le trait distinctif du totalitarisme, c’est la corruption du langage, et à travers elle l’instrumentalisation de la pensée à des fins de domination absolue. Et c’est ainsi que l’extermination des Juifs devient la « Solution finale ».
Rien, de prime abord, ne semble rapprocher Victor Klemperer, philologue allemand, et George Orwell, écrivain journaliste ; le premier est libéral, le second socialiste. Une génération les sépare. Pourtant, un même problème les occupe : « La relation entre les habitudes de pensée totalitaire et la corruption du langage ». Au sortir de la guerre, ils publient, à deux ans d’intervalle, deux ouvrages fondateurs : Lingua tertii imperii (1947), où Klemperer, juif converti au protestantisme, qui a vécu douze ans sous la domination nazie, déconstruit le langage du Troisième Reich ; et 1984 (1949), où Orwell imagine un régime totalitaire fondé sur la « novlangue ». Tous deux partagent une conviction : ce qui fait la spécificité du totalitarisme, c’est la destruction du langage – opération menée en vue d'insinuer, dans les moindres recoins de l’esprit, l’idéologie du régime.
« Une langue doit son déclin à des causes politiques », résume Orwell. Comme il le précise d’emblée, « le but de la novlangue était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales […], mais de rendre impossible tout autre mode de pensée », de « diminuer le domaine de la pensée ». En ce sens, « la Révolution sera complète quand le langage sera parfait ». Klemperer confirme : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic. […] Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions. […] La LTI s’efforce par tous les moyens de faire perdre à l’individu son essence individuelle, d’anesthésier sa personnalité, de la transformer en tête de bétail sans pensée ni volonté. » Le contrôle du langage est l’instrument par excellence du contrôle total – et d’ailleurs, il n’est qu’un instrument pour les régimes totalitaires, qui lui dénient toute autre fonction.
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