Le Danger sociologique

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Le pamphlet fait place nette dès l’entrée, façon « règlements de comptes à OK Corral ». Tout y passe, dans un défilé d’épouvantails : la théorie du genre, la « culture de l’excuse », le délire new age d’un Maffesoli, le dogmatisme politique d’un Geoffroy de Lagasnerie… La sociologie française, à laquelle les deux auteurs appartiennent, est aux mains d’une bande d’imposteurs ou/et de dangereux gauchistes qu’il est temps de remettre dans le chemin bien droit de la science.

Mais cet essai est aussi un programme, méticuleux, argumenté, touffu, pour « sauver » la sociologie d’elle-même. Suit un cours d’épistémologie, qui réactive les querelles entre Durkheim et Weber, les deux pères de la discipline, le déterminisme sociologique de l’un (avec Pierre Bourdieu en filiation) et l’individualisme méthodologique de l’autre (avec Raymond Boudon en héritier, dont nos deux auteurs se réclament). Pour dire vite, l’un conçoit l’existence du social comme un tout, avec ses structures cachées déterminant les places et conduites des individus ; pour l’autre, le fait collectif ne peut se comprendre qu’à partir de l’individu. En réalité, ces deux visions ne s’excluent pas toujours – la plupart des sociologues sérieux le savent bien. Mais Bronner et Géhin veulent enfoncer un coin décisif de leur critique avec la notion d’« intentionnalité » de l’acteur social. Ils reprochent à leurs adversaires de prêter abusivement des intentions à des entités collectives au statut flou (l’État, l’école, la famille…), ce qui ouvre la voie au conspirationnisme. Eux replacent l’intentionnalité à la seule échelle où elle soit scientifiquement observable : l’échelle de l’individu, ce qui le fait agir, aimer, croire, avec sa part de libre arbitre, donc de responsabilité. C’est là que les sciences du cerveau, la psychologie sociale peuvent être précieuses pour la sociologie. Certes, mais alors, une sociologie sans idée du social, une sociologie sans société : c’est ce qui s’appelle faire place nette !

Sur le même sujet

Article
12 min
Cyprien Machtalere

L’éloquence est-elle dangereuse, car susceptible de servir toutes les causes ? Ou est-ce un outil d’émancipation, qui favorise la conversation…

Gérald Bronner, Bertrand Périer. Le grand oral



Article
2 min
Victorine de Oliveira

L’extrait de Max Weber“Tout d’abord, concernant votre lutte contre la “sociologie”, je comprends bien, mais je vous ferai remarquer la chose suivante : si, au bout du compte, je suis moi-même devenu maintenant sociologue (selon l’intitulé de mon…


Le fil
1 min
Martin Legros

Avant de signifier la fin des temps, la notion d’apocalypse signifiait la révélation d’une vérité cachée. C’est en ce sens que l’utilise le sociologue Gérald…

“Apocalypse cognitive”, de Gerald Bronner