La Maison

Une recension de Philippe Garnier, publié le

Peut-on disposer de son corps sans limites et transformer sa sexualité en marchandise ? Ceux qui répondent par la négative invoquent des valeurs qui transcendent l’individu. La prostitution, même volontaire, serait une atteinte à la dignité de toutes les femmes. La grande singularité du roman d’Emma Becker est précisément d’être de part en part transcendé. Cependant, les valeurs qui le portent correspondent moins à une éthique qu’à une esthétique passionnée. Ce livre est guidé par le goût violent, émerveillé, du corps désirant. Pendant deux ans et demi, la narratrice s’immerge dans cette « maison » berlinoise, lieu hybride, dit-elle, entre un lieu de culte et un jardin d’enfants. Certes, elle pourrait gagner sa vie autrement, élever son enfant, vivre avec son compagnon, mais la curiosité l’emporte. Quête de l’intelligence et des sens, le récit vibre page après page. À chaque rencontre, à chaque « passe », celui qui se croit puissant lâche prise, celle qui devrait se résigner à subir se trouve investie d’une puissance insoupçonnée. Le plus souvent, l’aventure aléatoire du sexe l’emporte sur la relation dominant-dominée. Ce postulat peut, bien sûr, être contesté, mais Emma Becker n’est jamais prise en défaut de talent ni de lucidité.

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