“Il faut s’adapter”. Sur un nouvel impératif politique

Une recension de Catherine Portevin, publié le

D’où vient le sentiment diffus et omniprésent que nous sommes « en retard » : sur les évolutions de la société, sur les mutations des technologies, auxquelles nous peinons à nous adapter ? En remarquant la contamination des discours par le vocabulaire issu de la théorie de l’évolution de Darwin, la philosophe Barbara Stiegler renouvelle la généalogie du néolibéralisme. Au cœur de ce livre savant, aussi aride que passionnant, figure un personnage : Walter Lippmann (1889-1974), journaliste et intellectuel américain, venu de la gauche, théoricien du « gouvernement des experts ». En 1938 se tient à Paris un Colloque Lippmann, reconnu comme l’acte fondateur du nouveau libéralisme. Mais « nouveau » en quoi ? L’ancien croyait à la régulation naturelle du marché (ce qu’on a appelé le « naturalisme providentiel » des libéraux), ce qui implique le retrait de l’État et une politique du « laisser faire » ; le nouveau va consister à organiser d’en haut, par l’État, avec des leaders éclairés et des politiques notamment d’éducation et de santé, l’adaptation de l’espèce humaine à la « Grande Société », c’est-à-dire à l’environnement élargi et atomisé par les révolutions industrielles. Autrement dit, le néolibéralisme réintroduit autrement la référence à la nature, en se fondant sur une interprétation (problématique) des lois de l’évolution : adaptation, amélioration de l’espèce, survie du plus apte… L’adversaire le plus percutant de Lippmann fut, venu du même camp idéologique, le philosophe pragmatiste John Dewey. Dans un débat fameux outre-Atlantique, il oppose à ce libéralisme dirigiste et antidémocratique l’intelligence collective et délibérative, seule capable d’adapter non pas l’homme à son environnement mais bien plutôt l’environnement à l’homme. Stiegler se garde de tracer une généalogie mécanique entre ces débats des années 1930 et ceux d’aujourd’hui. Et pourtant, nous y reconnaissons bien des enjeux familiers…

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