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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Portrait de Barbara Stiegler, philosophe et directrice de recherche, durant le Banquet du Livre à Lagrasse (11) le 6 août 2019. © Idriss Bigou-Gilles/Hans Lucas

Entretien

Barbara Stiegler : “Nietzsche est l’un des premiers à diagnostiquer la crise écologique et sanitaire”

Barbara Stiegler, propos recueillis par Victorine de Oliveira publié le 25 octobre 2021 13 min

La crise sanitaire nous a pris de cours. Et pourtant. Si nous avions lu plus attentivement Nietzsche, nous aurions sans doute trouvé quelques clés pour mieux réagir, voire nous en prémunir. Barbara Stiegler nous explique comment le philosophe allemand ouvre la voie d’une pensée qui fasse de la place au flux et à un meilleur gouvernement du vivant.

 

On connaissait Nietzsche comme penseur du devenir (on pense à sa célèbre formule, reprise à Pindare, “Deviens ce que tu es”). Vous en faites un penseur du flux absolu : quelle est la différence ?

Barbara Stiegler : Le terme de « flux » (Fluß), qui signifie aussi « fleuve » en allemand, renvoie au corpus héraclitéen et au premier Nietzsche philologue, celui qui était plongé dans les textes grecs anciens. S’il n’y a pas de différence de signification majeure entre le flux et le devenir, on peut dire le flux renvoie à quelque chose d’absolu, dans lequel il n’y a ni arrêt ni repos, alors que le devenir est conciliable avec des rythmes lents. Il y a plusieurs entrées possibles pour expliquer l’importance de la notion de flux chez Nietzsche. Il interprète la métaphysique héritée des Grecs, en particulier de Platon, comme une dévalorisation systématique du flux au profit de la permanence. Il explique que les sociétés dans lesquelles nous avons vécu et dans lesquelles nous vivons encore sont entièrement construites sur un ensemble de fausses permanences, de valeurs pérennes, censées être stables, fixes, mais qui sont en réalité des fictions sociales. Mais il sait aussi que ce travail de révélation du flux absolu est intimement lié aux mutations qui affectent la société dans laquelle il vit, et qui voit naître des technologies de communication comme le télégraphe, annonciatrices d’une accélération de nos rythmes de vie. Cette évolution le conduit à mettre en évidence le caractère fictif des permanences en même temps que le flux continuel qui traverse toute réalité. Nietzsche envisage ensemble deux révolutions, industrielle et darwinienne. Si tout change, si tout évolue, cela signifie que même ce qui était considéré comme un point fixe de la métaphysique, à savoir le sujet et ses catégories, est une fiction.

“Pour Nietzsche, les sociétés sont entièrement construites sur un ensemble de fausses permanences, de valeurs pérennes, censées être stables, fixes, mais qui sont en réalité des fictions sociales” Barbara Stiegler

 

Quels sont les concepts métaphysiques que vous qualifiez d’“écrans” et qui ont fait obstacle à la compréhension de la vie ?

Même si la métaphysique prétend penser la vie et le mouvement, elle crée en réalité des écrans qui font obstacle à la compréhension de la vie. L’ego cartésien est le premier d’entre eux. Nietzsche a une lecture très fine de Descartes et voit très bien qu’il n’est pas le rationaliste que l’on présente d’ordinaire, que le cogito n’est pas une opération rationaliste ou abstraite, mais plutôt l’acte sensible d’un sujet qui s’éprouve lui-même, immédiatement, comme vivant. Le cogito est une épreuve qui se veut parfaitement incarnée. En mettant en scène une expérience d’auto-donation de soi par soi, Descartes manque toutefois, selon Nietzsche, la réalité du sujet. Pour Nietzsche, l’expérience de soi par soi ne peut jamais être immédiate, elle est au contraire faite d’une multitude de médiations, elle est d’abord l’expérience d’une pluralité. Le je n’est donc jamais premier, mais est un résultat à venir. C’est pratiquement impossible à traduire dans notre grammaire, mais on peut tenter de le formuler ainsi : « nous » serons peut-être un « je » un jour. On retrouve là des hypothèses fondamentales de la biologie contemporaine, notamment l’idée que l’identité des organismes vivants repose sur une extraordinaire pluralité interne et sur un ensemble de relations complexes avec toute la diversité qui se trouve à l’extérieur de ceux-ci, dans l’environnement.

 

Quel rôle jouent les connaissances de Nietzsche en biologie dans cette révélation du flux absolu ?

En se plongeant dans les ouvrages de biologie de son temps, Nietzsche identifie parfaitement l’importance des questions liées au métabolisme et à la nutrition d’un côté, et à l’évolution de l’autre. Il voit également très bien que ces phénomènes qui assurent la vie sont menacés de manière complètement nouvelle par une accélération de tous les rythmes. Leur emballement empêche en effet la stabilisation et la clôture dont les vivants ont besoin, et qu’ils créent toujours artificiellement pour subsister. Nous voyons bien à présent que l’accélération de tous les rythmes organiques est pour une large part responsables de l’apparition des maladies chroniques, qu’elles soient liées au dysfonctionnement de la nutrition, du métabolisme, à l’appauvrissement du microbiote. On voit aussi combien cette accélération produit une fragilisation des barrières d’espèces et des clôtures des milieux qui laissent émerger des zoonoses. Nietzsche est l’un des premiers à diagnostiquer ce qu’on appelle aujourd’hui la crise écologique, et à voir qu’elle est aussi une crise sanitaire. La révélation du flux est une expérience fondamentale chez lui, mais qu’il ne célèbre jamais comme un bien absolu dans lequel il faudrait s’abandonner, comme a pu le prôner Wagner dans sa musique. Nietzsche est le penseur d’une double condition : l’exposition nécessaire au flux absolu du devenir, avec lequel le vivant est toujours en relation, et la nécessaire protection ou résistance face à ses effets dissolvants ou liquéfiants. Toute la difficulté consiste à ne pas verser dans le rejet du flux, tout en y résistant en partie. La modernité a cru qu’en rendant le sujet connaissant « comme maître et possesseur de la nature », elle allait pouvoir maîtriser la vie comme un objet stable. Mais pour Nietzsche, ce projet d’une certaine technoscience nous a menés à une impasse et nous montre qu’il faut appréhender la vie autrement. La vie déborde nos catégories et se montre en grande partie imprévisible. Sa capacité de création et de liberté déjoue nos mécanismes de contrôle. Pourtant, on doit pouvoir, en un certain sens, parvenir à la gouverner.

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