Homo detritus. Critique de la société du déchet

Une recension de Catherine Portevin, publié le

En ce jour de 2009, Baptiste Monsaingeon est un jeune chercheur encore flâneur et « plein de bonnes intentions ». Il a étudié la philosophie et la psychanalyse, s’est essayé à l’action culturelle, et il prépare une thèse sur l’anthropologie du déchet ménager. Bon prétexte pour s’embarquer vers l’Atlantique Nord à la recherche du « continent de plastique », dont tous – militants écologistes, marins, scientifiques… – ont parlé. En fait, c’est sur un océan de plastique qu’il vogue, neuf mois durant, de Dakar aux Bermudes, jusqu’au cœur de la mer des Sargasses à 1 500 kilomètres de toute côte : bouchons, bidons, bouteilles, grains de polystyrène, sacs, mais surtout, une soupe de microparticules plastifiées, jusqu’aux nanoparticules invisibles et imputrescibles. De « continent » de plastique, point ; mais du plastique partout, qui altère les organismes vivants et s’incruste désormais profondément dans les couches géologiques du « Poubellocène ». Les sociétés industrielles ont créé un Homo detritus, face cachée de l’Homo economicus, analyse Baptiste Monsaingeon, devenu entre-temps docteur en anthropologie *.

Voilà pour le problème. Mais ce qui a intéressé le chercheur – c’est là que son essai est original –, ce sont les solutions, ou plutôt LA solution qui sous-tend les politiques de traitement des ordures : cachez ce déchet que je ne saurais voir ! Et pour disparaître, il doit être « géré », donc circonscrit, trié, éliminé, recyclé. Affrétons des navires qui ratissent la mer, retraitons le plastique, tirons-en par combustion du pétrole… le tout pour un coût économique et écologique bien supérieur à la pollution déjà engendrée. Ou bien, transformons-nous en « jeteur idéal », capable de consommer tout en « bien jetant » dans des poubelles vertes, jaunes ou bleues, pour « sauver la planète ». Ce geste écocitoyen de même que l’économie circulaire du recyclage industriel en disent autant, selon Monsaingeon, sur nos modes de vie, fondés sur le tout-jetable, que sur nos représentations de la salubrité, voire d’une forme de rédemption.

« L’individu désencombré », dans lequel le philosophe Michael J. Sandel voit l’idéal-type du sujet libéral, efface ainsi les signes de sa finitude. Or est-il possible, et même désirable, de « faire monde sans faire de restes », demande l’anthropologue ? Face à la figure de l’écocitoyen, il réhabilite un « devenir chiffonnier », puisé à sa lecture de Walter Benjamin : le chiffonnier comme celui qui donne sens aux rebuts du monde. Le chiffonnier, c’est l’homme lucide sur la précarité de la vie sur Terre, capable de faire revivre les objets oubliés mais aussi de regarder en face les traces indélébiles d’une production monstrueuse.

 

* Il est membre du conseil scientifique de la formidable exposition Vies d’ordures, qui se tient au Mucem, à Marseille, jusqu’au 14 août 2017.
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