Figures du néant et de la négation entre Orient et Occident

Une recension de Martin Duru, publié le

Être ou non-être, telle a été la question. Au Ve siècle avant notre ère, le philosophe grec Parménide considère qu’il existe deux voies pour la pensée : celle de l’être et celle du non-être – avant de juger que la seconde, impraticable, doit être abandonnée… Cette exclusion du néant a été l’un des actes fondateurs de la métaphysique occidentale. Grande figure de la phénoménologie, Françoise Dastur s’élève contre la tentation courante de réduire la philosophie à sa seule source grecque – haro sur « l’européocentrisme » – et montre que cette question du non-être est centrale, directrice, dans la pensée de l’Asie. C’est le cas dans le boud-dhisme, avec le moine indien Nāgārjuna (II-IIIe siècles) et son concept de vacuité : les choses n’ont pas d’existence propre ; les phénomènes sont vides d’être, des « mirages ». Traversant les siècles et les mers, Dastur nous initie aussi à l’œuvre de Kitarō Nishida (1870-1945), philosophe japonais fondateur de l’École de Kyoto : plaçant le néant au fondement de la réalité, lui déconstruit l’ego autocentré en pensant « l’éveil à soi du monde lui-même ». Le non-être, territoire exclusivement « oriental » ? Loin s’en faut, tant certains philosophes occidentaux s’y sont aventurés. Une place de choix est réservée à Heidegger : ayant essayé de traduire le Daodejing, le livre canonique du taoïsme attribué à Laozi, le penseur allemand rejette toute conception négative du néant ; pour lui, il est même ce à partir de quoi l’être se déploie – le visible surgit à partir de l’invisible, l’apparent sur fond d’inapparent. Sans dissoudre la différence entre l’Orient et l’Occident, Dastur entend ainsi moduler des variations, des « rapprochements » et des « écarts » sur ce thème commun du non-être – et ce n’est pas rien.

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