Dictionnaire philosophique
Une recension de Michel Eltchaninoff, publié leCe dictionnaire est un monument qui serait familier. Imposant, il n’intimide pas. Il faut dire qu’on peut y entrer de mille six cents façons différentes. Malgré la compétence reconnue de son unique architecte et bâtisseur, l’édifice évoque donc moins Versailles que le Palais idéal de Ferdinand Cheval. C’est ce qui fait – outre qu’on y apprend énormément – son charme un peu dingue. C’est l’œuvre d’une vie. Comme le facteur bourrait ses poches de petits cailloux lors de ses tournées, des années durant, on imagine le philosophe revenir d’une conférence avec une remarque étonnante, d’un déjeuner amical avec une anecdote, d’une promenade avec une pensée. Il ne se prive pas de les restituer. Il complète d’un bon tiers la première édition de ce dictionnaire, datant de 2001.
«Un bric-à-brac d’autant plus philosophique qu’il est antisystématique»
Cheval s’inspirait du Larousse pour mieux en pervertir les images. Comte-Sponville, lui, reprend les entrées de deux dictionnaires philosophiques célèbres, ceux de Voltaire (1694-1778) et d’Alain (1868-1951, auteur des Définitions). Mais il en triture lui aussi le sens. Quand Voltaire tape sur les abbés qu’il accuse de piller le peuple, l’athée spiritualiste les défend : « Rencontrer un abbé, aujourd’hui, même pour le libre penseur que je suis, c’est plutôt une bonne surprise. » Il se permet même de brillamment réinventer la liste des péchés capitaux. Ce qui donne : égoïsme, cruauté, lâcheté, mauvaise foi, suffisance, fanatisme, veulerie. Ajoutons les termes les plus techniques du vocabulaire philosophique – « amphibologie », « téléologie », « contingence » —, expliqués avec rigueur et clarté (mais avec un éclairage spinoziste assumé), mêlons-y des termes du langage courant (« élégance », « douceur »…), quelques néologismes (« duration », « éternullité »), des notions de pensée asiatique (« samsara », « wuwei ») des clichés de notre époque (« vraies gens », « beaufitude »), et voici un bric-à-brac d’autant plus philosophique, d’après son auteur, qu’il est antisystématique. Le tout est traité sans affectation, avec une familiarité qui nous implique dans la réflexion sans nous emprisonner.
Mais si l’on observe les notions ajoutées par l’auteur depuis douze ans, on lit l’évolution de son regard sur notre époque. Sont-ce les années Sarkozy qui l’ont poussé à ajouter « césarisme », « charisme » et « populisme » ? Est-ce la résurgence de l’antisémitisme qui le pousse à le réfuter avec rigueur ? Les notions liées à la bioéthique, à la catastrophe écologique, à l’argent, à l’économie, à la mondialisation abondent dans cette nouvelle version, en réponse aux interrogations du temps. Mais ce sont deux nouvelles entrées qui évoquent le mieux ce qui a changé, pour lui, depuis le 11 septembre 2001. Outre un hommage à l’adolescence (« On est beaucoup plus beau qu’on ne le croit (surtout les filles), un peu moins intelligent qu’on ne l’imagine […]. On ne comprendra que beaucoup plus tard que c’est durant ces années-là – du moins c’est le sentiment que j’ai – que, sans le savoir, on s’est trouvé »), le néologisme « adulescent » ne passe pas inaperçu. Le phénomène de ces adultes qui ne veulent pas grandir « trahit quelque chose de notre époque, de son jeunisme stupide, de la dureté du monde économique, de la douceur, parfois piégeante, du cocon familial ou amical. Peur de grandir chez les uns, peur de vieillir chez les autres, peur, chez presque tous, du chômage, de la misère, de l’exclusion, de la solitude, de l’abandon… Difficile, avec tant de peurs, de prendre sa vie en main ». Si nous avons sombré dans la peur, ce dictionnaire est justement écrit, non pour nous consoler avec de bonnes paroles, mais, dans l’esprit de Spinoza, pour nous rendre plus lucides. La visite s’impose, non ?
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