De si violentes fatigues
Une recension de Victorine de Oliveira, publié leOn a vu fleurir des ouvrages concernant la fatigue au travail et le burn-out, moins ceux qui concernent une fatigue à la fois plus profonde et inquiétante : celle d’être soi. Plus communément appelée dépression, elle n’est pas qu’un mal d’ordre psychologique : elle porte une puissance de subversion politique, et c’est toute l’originalité du propos de Romain Huët. Non, le dépressif n’a pas renoncé, abdiqué. Non, il ne se trouve pas dans une situation d’échec, comme on le prétend trop souvent. Il lance plutôt une protestation : « Le “malheureux” ou “l’épuisé” est une figure importante, le murmure du monde défait. Il prévient les devenirs. Il est voué à occuper nos scènes scientifiques et politiques. Sur les côtés de la société, il l’altère en raison de sa non-adhésion à son présent », affirme Huët. Il y a donc refus, négation, mais aussi appétit pour un ailleurs, un autre de ce monde-là.
Ce déplacement de point de vue provient d’un travail de longue haleine : le chercheur en sciences sociales a analysé sur une dizaine d’années les conversations téléphoniques entre les bénévoles d’une association de prévention contre le suicide et des personnes en détresse. Le regard qu’il pose sur l’association en question, dont il ne donne pas le nom (par commodité, il l’appelle Stop Suicide), est extrêmement critique, et par là même surprenant. Malgré leur bienveillance, ces dispositifs d’écoute relèvent, selon Huët, d’une logique de contrôle social. « Rentrez dans le rang », suggéreraient-ils. « La puissance subversive des malheureux se heurte à des mécanismes institutionnels dont l’effet est de réduire la portée destituante du malheureux. En somme, l’écoute est un moyen d’annihiler ou de rendre difficile l’anti-discipline. » Huët ne se fera probablement pas que des amis avec ces lignes, mais le reproche n’est pas neuf. On se souvient de Patrick Declerck qui notait l’impuissance et une forme de complicité des associations d’aide aux SDF dans Le sang nouveau est arrivé (Gallimard, 2005). Les épuisés, ou « malheureux » comme les nomme Huët, sont de ceux qui refusent de changer leurs désirs plutôt que l’ordre du monde. Le hic, c’est que le monde les noie sous son indifférence.
Que serait dès lors une écoute qui ne dépolitiserait pas la souffrance existentielle ? À lire Huët, elle se joue dans le langage – notamment, le terme « dépressif » n’est quasiment jamais employé. Peut-être aussi dans une bienveillance envers des luttes sociales qui, si elles broient parfois du noir, revêtent souvent des couleurs éclatantes. Du rouge ou du jaune, par exemple.
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