Vivre à découvert, une question sociale… et métaphysique

18% : c’est la part des Français qui vivent à découvert, c’est à dire à crédit, selon le 17^e Baromètre de la pauvreté et de la précarité publié il y a quelques jours. Comment l’endettement est-il devenu, pour beaucoup, la règle dans la vie quotidienne ? Et peut-on en sortir ? Il faudrait commencer par surmonter une manière de penser, très ancrée, qui considère que nous sommes toujours en dette de quelque chose.

Du prêt immobilier au paiement en quatre fois en passant par le crédit à la consommation, l’endettement est une expérience familière de la plupart des Français. On pourrait la traduire ainsi, en des termes plus existentiels qu’économiques : vous vivez aujourd’hui avec davantage de biens, de « valeurs », que vous n’auriez pu en posséder normalement avec ce que vous avez accumulé avec votre travail. Quelqu’un vous a donc prêté, fait une avance. Il vous a libéré des limitations de vos propres forces. Mais pas gratuitement, et il vous faudra rembourser les intérêts.

La dette, une question ontologique

D’où vient ce système angoissant et fragile ? De notre vision métaphysique du monde, affirme le jeune philosophe Valentin Husson. Dans L’Écologique de l’histoire (Les Presses du Réel, 2021), il met à jour les racines philosophiques de ce « vivre à crédit ». Dans la tradition occidentale, d’après lui, l’être est beaucoup plus valorisé que l’avoir. Ce dernier est vu comme accessoire et au fond superflu. Nous ne parvenons à progresser dans l’existence qu’en nous dépouillant de nos legs et de nos possessions : « Il faudrait […] être pauvre, se tenir dans le rien, endurer la privation, afin que la vérité s’exhibe à soi. […] L’être se déploie depuis la privation, la pauvreté […] et le rien […] Éloge du misérabilisme ! Jouissance malsaine devant ceux qui ne sont rien, mais dont on ne voudrait surtout pas qu’ils soient tout ! » Tel est le cri de la métaphysique, qui se veut une doctrine de la pauvreté.