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Victor Burgin, “Gradiva”, 1982. 7 panneaux, tirages argentiques noir et blanc, texte. © Courtesy Galerie Thomas Zander, Cologne

Photographie

Victor Burgin au Jeu de Paume : l’énigme du “ça”

Alexandre Jadin publié le 17 novembre 2023 4 min

Que regarde-t-on quand on regarde une photographie ? « Ça », répond le titre de l’exposition du Jeu de Paume consacrée à Victor Burgin. L’artiste britannique né en 1941 y expose quelques-unes de ses œuvres couvrant cinquante années de montages phototextuels. Interrogeant notre rapport saturé aux images, il nous invite à nous en réemparer.


Le piège de la photographie

La pratique artistique de Victor Burgin, dite « scripto-visuelle », a de quoi dérouter. En juxtaposant des photographies à des textes, les œuvres présentées entendent déjouer les pièges tendus par des images qui prétendent tout dire. Un exemple : l’œuvre Performative/Narrative (1971) constitue un ensemble de seize triptyques qui font varier une photographie d’un bureau vacant, une courte narration (« Avant d’atteindre la porte, il avait interrompu sa progression jusqu’alors rapide à travers la pièce obscure et examinait désormais un dossier qui était posé sur le bureau. Un an plus tard, son fils était assis à ce même bureau et lisait le contenu de ce même dossier, que sa secrétaire avait découvert dans un tiroir ce matin-là ») ainsi qu’une série d’instructions relatives à la manière de regarder l’ensemble (« 1) Pas votre connaissance du récit précédent – 2) Votre connaissance de la photographie précédente – 3) Pas les critères en fonction desquels vous pourriez décider que des aspects de 1 sont analogues à, corrélés à ou susceptibles d’être placés dans un même contexte que des aspects de 2 – 4) Vos interférences à partir de 1 et de 2 sur la base de 3 »). En se perdant entre la monstration, la narration et l’injonction de l’artiste, la photographie déploie un potentiel insoupçonné.

Car, à bien la regarder, une photographie devient vite étrange : elle n’a rien à cacher. Elle montre ce qu’elle montre, point : « Je m’épuise à constater que ça a été », note Roland Barthes dans La Chambre claire, ouvrage qui marque profondément le travail de Burgin dans les années 1980. Il y analyse ce qui fait l’inquiétante étrangeté de la photographie : « Elle accomplit la confusion inouïe de la réalité (“Cela a été”) et de la vérité (“C’est ça !”). » La photographie est non seulement un testament du passé, la preuve que l’objet photographié a existé, mais également la preuve irréfutable que cet objet n’est plus là : « Ce que je pose n’est pas seulement l’absence de l’objet ; c’est aussi d’un même mouvement, à égalité, que cet objet a bien existé et qu’il a été là où je le vois. » Barthes peut ainsi caractériser la tension existant dans chaque photographie, entre le fait qu’elle soit « fausse au niveau de la perception » mais « vraie au niveau du temps ».

Pourtant poursuit-il, la plupart du temps, les photographies demeurent souvent marquées par « une force d’évidence » qui « ne m’apprend rien ». À la différence du « texte, ou d’autres perceptions qui me donnent l’objet de façon floue, discutable, et m’incitent de la sorte à me méfier de ce que je crois voir ». En insérant les textes dans ses œuvres, Burgin déjoue le piège de la photographie enfermée en elle-même, essoufflée de ne pouvoir que montrer ce qu’elle montre. Les textes, pour autant qu’ils ne soient pas des légendes platement descriptives, « par l’action soudaine d’un seul mot, peu[vent] faire passer une phrase de la description à la réflexion ».

Réactiver l’imagination

La textualité des œuvres de Burgin suscite cet état de grâce dont Barthes témoigne au sujet de quelques photos élues. Voir une photographie, c’est aussi mobiliser une puissante attraction affective, ce que Barthes nomme le punctum. Et telle est l’intention de Victor Burgin : émanciper l’expérience de la photographie des couches de signification qui empêchent l’imagination de se déployer. Ses œuvres, détournant la publicité par le même procédé phototextuel, s’inscrivent dans cette démarche : en en modifiant le texte, ces œuvres visent à « recouvrer la complexité de notre expérience quotidienne en l’arrachant aux diverses formes de réductionnisme et de formatage à laquelle elle se trouve assujettie, dans le divertissement grand public comme dans le populisme politique ».

Fer de lance de l’art conceptuel des années 60, Victor Burgin dit vouloir développer des œuvres qui « tendent à prendre leurs formes essentielles dans le message plutôt que le matériel » (Esthétique situationnelle, 1969). Intentionnellement inachevées, c’est ainsi au spectateur de les parachever, à sa manière, par le moyen de la libre association des idées, souvenirs, impressions, affects.

Qu’elle soit corsetée par sa logique interne (la photographie ne ferait que montrer ce qui est photographié), par des significations consuméristes (comme dans la publicité) ou bien par des encarts ou autres légendes (dont l’exposition est volontairement dépourvue), l’image demeure pour Burgin le lieu d’un déploiement bigarré du « psychisme » du « regardant ».

Le spectateur est donc invité à laisser vagabonder son imagination, comme dans Solito Posto (2008). En s’engouffrant dans l’une des chambres noires de l’exposition, on se trouve devant un film alternant une vue à 360° d’une place de Venise avec des brefs textes. Que regarde-t-on alors ? Un film de Victor Burgin ? Une place vide à Venise ? Ou bien ce mélange confus d’impressions et de souvenirs personnels qui s’emmêlent ? La personne assise à côté de moi, a-t-elle vraiment vu le même film ? Deux personnes peuvent-elles voir la même image ? Et enfin, a-t-on vu la même exposition que son voisin ? Oui et non : c’était bien la même exposition, et en même temps, ça opère chaque fois différemment.

 

L’exposition sur le photographe Victor Burgin Ça court au Jeu de Paume, à Paris, jusqu’au 28 janvier 2024. Pour plus d’informations et retrouver la billetterie en ligne, rendez-vous sur le site officiel du musée.

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