Un rêve américain
En 1831, Alexis de Tocqueville n’a que 26 ans lorsqu’il embarque pour les États-Unis, accompagné de son ami Gustave de Beaumont.
Sa mission : enquêter sur le système pénitentiaire local – « un passeport qui devait me faire pénétrer partout », dira-t-il. Car c’est une enquête bien plus vaste qu’entreprend le jeune homme à travers ce voyage d’un an, dont sortira De la démocratie en Amérique. Déçu par la Révolution de 1830, il tourne le dos au Vieux Monde pour regarder vers l’égalité démocratique appelée à s’imposer en Europe et qui triomphe déjà en Amérique. Pour ce représentant de la vieille noblesse française, le dépaysement est total. « Chez les peuples démocratiques, où il n’y a point de richesses héréditaires, chacun travaille pour vivre », s’étonne-t-il. Dans ce pays de migrants, « où les privilèges de naissance n’ont jamais existé », un phénomène le frappe : l’égalité, moteur de la société américaine, qui passe par les droits, mais aussi par l’égalisation des fortunes. Alors que, en France, le patrimoine reste largement corrélé à la naissance, « en Amérique, la plupart des riches ont commencé par être pauvres ». Et Tocqueville de célébrer cette terre des possibles, où « rien n’est plus facile que de s’enrichir », parce que « la fortune y circule avec une incroyable rapidité ». La mobilité sociale conduit chacun à espérer, et donc à accepter l’inégalité, toujours provisoire, des richesses. Pourtant, ce beau pays de l’égalité et de la liberté est aussi celui de l’esclavage. En poursuivant son voyage vers le Sud, Tocqueville découvre, révulsé, la violence de l’inégalité entre Blancs et Noirs. Il entrevoit aussi que la conquête de l’égalité des droits n’empêche pas la persistance d’une inégalité pernicieuse, inscrite dans les mentalités : « À l’inégalité réelle que produit la fortune ou la loi succède toujours une inégalité imaginaire qui a ses racines dans les mœurs. » De fait, les États-Unis de 2015 ne semblent pas en avoir fini avec la discrimination raciale. Tocqueville renvoie donc à la société américaine un formidable miroir de ses aspirations et de ses faiblesses. « Ces retours fréquents de la fortune, ce déplacement imprévu des richesses publiques et privées, tout se réunit pour entretenir l’âme dans une sorte d’agitation fébrile », écrit-il, anticipant de quelques décennies l’ère des bâtisseurs d’empires, parfois partis de rien. Dès les premières éditions, les Américains se sont arraché De la démocratie en Amérique, comme aujourd’hui Le Capital au XXIe siècle, de Thomas Piketty. Mais ce nouveau miroir des inégalités dessine-t-il toujours l’avenir de l’Europe ?
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