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Robert Albin, spécialisé dans l’éthique des médias et la notion de responsabilité, a subi les attaques du 7 octobre à Sdérot. © CP

Israël

Un enseignant en philosophie qui a vécu le massacre du 7 octobre témoigne

Robert Albin, propos recueillis par Cédric Enjalbert publié le 15 novembre 2023 6 min

Robert Albin, spécialisé dans l’éthique des médias et la notion de responsabilité, enseigne à l’université Sapir dans le désert du Néguev en Israël. Il a subi les attaques du 7 octobre à Sdérot. Il raconte ce qu’il a vécu, et tente d’en tirer des enseignements philosophiques : l’éthique du visage de Levinas n’a pas empêché le massacre, et la définition de l’humanité par la rationalité est fausse. Un témoignage profond et bouleversant.


 

Comment allez-vous aujourd’hui ?

Robert Albin : Je suis chez des amis, qui m’offrent l’hospitalité. C’est à Rehovot, à environ quarante kilomètres de la bande de Gaza. On fait l’expérience quotidienne des tirs de missiles et des sirènes, mais ce n’est pas aussi intense qu’à Sdérot. Je retrouve une sorte de routine quotidienne… même si l’état mental, émotionnel et cognitif de la majorité des Israéliens est la distraction, dans un sens cognitif. Nous sommes incapables de nous concentrer. Il est difficile de suivre ses pensées plus de deux minutes.

“L’état mental, émotionnel et cognitif de la majorité des Israéliens est la distraction, dans un sens cognitif. Nous sommes incapables de nous concentrer” Robert Albin

 

Que ressentez-vous ?

J’essaie d’imaginer ce que signifiera retourner chez moi, dans une situation si tendue. Ma fille vit avec son mari et ma petite-fille, à environ dix kilomètres d’ici. Pour leur rendre visite, je dois prendre la voiture en sachant quelles manœuvres effectuer en cas d’urgence et où m’abriter. Ce sont des compétences que nous devons acquérir. Cela participe de la phénoménologie de toute personne israélienne : être sans cesse en alerte et être prêt à toute dégradation de la situation.

 

Pouvez-vous décrire ce que vous avez vécu le jour de l’attaque du 7 octobre ?

Je me suis levé à six heures et demie ce samedi-là. J’ai entendu les sirènes avant de me réfugier dans ma chambre forte. J’ai alors perdu tout contact avec l’extérieur. Cela a duré plus de trente-cinq minutes. Nous n’avons jamais vécu de bombardements aussi intenses. Puis ça a été le silence. Il a fallu du temps pour comprendre que cette attaque n’était qu’une diversion pour détourner l’attention de l’invasion en cours. Ma chère secrétaire à l’université était dans un kibboutz tout près de la frontière, avec sa famille. Elle avait cru comprendre qu’il y avait là des agresseurs. Je suis resté en contact avec elle près d’une heure. Vers midi, il n’y a plus eu de réponse. J’ai appris qu’elle avait été abattue avec son père, son mari et ses deux filles de 18 et 20 ans. Nous travaillions depuis sept ans ensemble, et aujourd’hui je la pleure.

“Cela participe de la phénoménologie de toute personne israélienne : être sans cesse en alerte et être prêt à toute dégradation de la situation” Robert Albin

 

La philosophie aide-t-elle dans ces circonstances ?

La plupart d’entre nous sommes devenus silencieux. Il est très difficile d’être suffisamment lucide pour formuler des réflexions philosophiques. Nous sommes happés par les commentaires médiatiques mais aussi par les dilemmes normatifs, pour savoir ce qui est bon et quelle est la meilleure façon d’agir : doit-on envoyer les troupes à Gaza ? Est-il injuste de suspendre l’aide humanitaire ? Quand des individus décapitent des bébés, on ne peut manquer de se questionner aussi sur la nature humaine. Certains diront qu’il s’agit avant tout d’une conscience sadique. Je ne suis pas sûr que cette explication épuise le sujet ni qu’elle explique cette violence extrême. Il est intéressant de noter que Levinas faisait du visage humain le début de l’éthique. Pour lui, dès qu’on rencontre le visage d’autrui dans sa vulnérabilité, on ressent un appel à respecter certaines règles morales, indiquant ce qu’on peut faire et ce qui est interdit – à commencer par tuer. Je comprends ce qu’il veut dire. Mais comment comprendre que certains terroristes dans le kibboutz aient pu se réjouir de leurs atrocités ? Comment n’ont-ils pas été rebutés par leurs propres actes ? Certains les ont qualifiés d’animaux. Mais agir avec une telle jouissance dans l’horreur reste très humain ; les animaux n’agissent pas ainsi. Les philosophes, de Platon à Kant, ont loué la rationalité qui définirait l’homme. Je vois maintenant avec netteté et douleur combien ils se sont trompés.

 

Vous avez écrit sur la responsabilité des journalistes dans le fait que les émotions supplantent la pensée rationnelle. Que pensez-vous de la couverture médiatique de l’événement ?

Les médias auxquels nous sommes exposés reposent sur beaucoup de rhétorique mais assez peu de logique. Des scènes sensationnelles sont diffusées en boucle et il est rare que les opinions qui s’expriment s’appuient sur des arguments raisonnables. Les gros titres attirent notre attention mais n’aident pas à penser avec nuance. Ainsi s’opère un glissement dans la façon dont nous percevons le monde, tablant sur nos émotions plutôt que sur nos capacités rationnelles.

“Il est très difficile d’être suffisamment lucide pour formuler des réflexions philosophiques. Les Israéliens sont happés par les commentaires médiatiques comme par les dilemmes sur ce qu’ils doivent faire” Robert Albin

 

Que pensez-vous des images de violence montrées aux journalistes par l’armée israélienne ?

Autrefois, les autorités n’étaient pas très enclines à montrer de telles images, pensant que cela violait la mémoire des personnes assassinées. Elles se considéraient sans doute « meilleures » que le Hamas en ne les diffusant pas. Mais elles donnent aussi la mesure du choc ressenti, inégalé depuis soixante-quinze ans. Des figures médiatiques tiennent une position anti-israélienne, en faveur de la cause palestinienne et du Hamas, considérés comme isolés, faibles et sous-équipés. Face à eux, les Israéliens seraient forts, avec une bonne économie et des moyens de défense efficaces. Cette position manichéenne reflète mal la nature du conflit. Je ne saurais le résumer ni le résoudre en quelques minutes – le camp israélien n’est pas parfaitement vertueux ni le camp palestinien celui du mal absolu – et je peux mesurer cette complexité. Mais il y a aussi des choses très simples : les atrocités commises sont des actes dignes des nazis ou de Daesh.

 

Est-il possible de faire justice en surmontant le désir de revanche ?

Les frappes israéliennes ne sont pas menées par des fous, avec un couteau entre les dents. S’engager dans le combat demande au contraire d’être guidé non par l’émotion mais par un but stratégique. Il y a beaucoup de victimes du côté des Palestiniens, et la situation est dure pour les civils, mais il n’y a pas de désir de les annihiler. Il y a près de vingt ans, j’ai participé à une conférence à Bruxelles. J’ai rencontré là des universitaires, dont un m’a interrogé – nous étions au moment de la seconde guerre en Irak – à propos de la situation au Moyen-Orient. J’ai fini par lui dire : « Pour vous, Européens, notre réalité est un autre monde. Vous vivez dans un paradis dont vous n’appréciez pas la douceur. Vous êtes à l’abri, vous mangez à votre faim, vous pouvez prévoir vos vacances, vos études et votre carrière. Nous, nous essayons de vivre tout aussi normalement… mais nous devons affronter des attaques et adapter notre mode de vie à cette insécurité. »

“Des figures médiatiques anti-israéliennes considèrent le Hamas et les Palestiniens comme isolés, faibles et sous-équipés, faisant face à des Israéliens forts, riches et bien équipés. C’est faux” Robert Albin

 

Êtes-vous né en Israël ?

Non, je suis né en Roumanie et je suis arrivé en Israël à l’âge de sept ans. Mon père a réchappé aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Il a maintenant 91 ans et la maladie d’Alzheimer. Mais il se souvient encore des actions de l’armée nazie dans sa ville natale – c’est presque la seule chose dont il peut encore se souvenir.

 

Comment voyez-vous l’avenir ?

J’enseigne à l’université Sapir, près de Sdérot. Des gens ont été tués au pied de ses grilles. Je me demande comment le semestre va reprendre, avec la peur et l’anxiété. Comment enseigner la philosophie, la littérature et l’histoire dans de telles conditions ?

Le témoignage de Robert Albin, qui a réchappé du massacre de Sdérot
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