Un cap à franchir
Et si la première crise existentielle, c’était la naissance ? Vous ne vous en souvenez pas ? Faites un effort de mémoire. Vous avez cheminé lentement, douloureusement, dans le col de la matrice. Des contractions vous comprimaient la cage thoracique. Au bout du tunnel obscur, il y avait une percée de lumière et des gens pleins de sollicitude pour vous attendre, vous accueillir – oui, ces visions rappellent étrangement celles que rapportent un certain nombre de personnes ayant frôlé la mort clinique. Cela ne vous dit rien, vraiment ?
Nous devons cette hypothèse insolite à un disciple dissident de Sigmund Freud, Otto Rank. Son idée centrale est exposée dans un ouvrage à la fois profond et inclassable, publié en 1924, Le Traumatisme de la naissance. Selon Rank, nous sommes hantés notre vie durant par les affres de notre venue au monde. Il convient ainsi de ramener « la sensation d’angoisse en général à l’angoisse physiologique (respiratoire), qui accompagne la naissance ». Transition périlleuse d’un élément liquide vers l’air libre, séparation violente d’avec le corps de la mère : telles sont les impressions enfouies qui nous reviendraient dans nos mauvais moments. Mais le plaisir aussi, nous le recherchons dans des expériences qui nous rendent la douceur de la matrice perdue. C’est même ce qui fait l’attrait de la sexualité : l’homme désire les femmes pour retourner en elles ; dans l’amour, homme et femme retrouvent la bienheureuse extase de la fusion, le délice d’être assemblé à un autre corps.
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
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