“Terroriste” ou “combattant” : qui décide ? sur quel critère ? Et ça change quoi, concrètement ?
Un débat existe aujourd’hui pour savoir s’il faut qualifier le Hamas d’organisation terroriste ou reconnaître à ses membres le statut de combattants. Comment le droit international distingue-t-il les deux ? Avec quelles conséquences ? L’éclairage de Catherine Le Bris, chercheuse au CNRS à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste du droit international.
Cela a-t-il du sens de qualifier le Hamas d’organisation terroriste du point de vue du droit international ?
Catherine Le Bris : La qualification de terrorisme est éminemment politique. Elle dépend beaucoup du côté où l’on se place. Je rappelle que les résistants étaient considérés comme des terroristes pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, le droit international a apporté des éléments de définition du terrorisme au cours de son histoire. La Convention de 1999 pour la répression du financement du terrorisme mentionne des actes destinés à tuer ou blesser grièvement un civil pour intimider une population ou contraindre un gouvernement à accomplir un acte. En 2006, l’Assemblée générale des Nations unies associe le terrorisme à des actes criminels conçus ou calculés pour terroriser l’ensemble d’une population, un groupe de population ou certaines personnes à des fins politiques. Les définitions sont toutefois assez vagues, imprécises. Que signifie par exemple terroriser une population ? On ne sait pas précisément. Le droit touche ici à ses limites. Une résolution de 2004 du Conseil de sécurité parle de la prise d’otage dans le but de semer la terreur parmi la population. Considérant ces éléments, ce qu’a fait le Hamas en Israël est du terrorisme. Cela vient asseoir les positions de l’Union européenne – et de sa Cour de justice – qui a placé le Hamas sur la liste des organisations terroristes. Ce n’est pas sans conséquences : cette qualification a engendré le gel de certaines aides.
“Le droit a aussi ses limites. Les définitions autour du terrorisme sont assez vagues, imprécises, dans le droit international”
Qualifier le Hamas d’organisation terroriste ne le soustrait donc pas du droit international ?
Terrorisme et crimes de guerre ne s’excluent pas. Semer la terreur constitue un crime de guerre, et c’est aussi du terrorisme. Cependant, la question du terrorisme peut en effet être instrumentalisée pour remettre en cause le statut de combattant d’une entité. Je considère que les membres du Hamas sont des combattants dans un conflit armé international, même si c’est une question discutée. Si l’on considère la Convention de Genève III de 1949 et, avant elle, le Règlement de la Haye de 1907, le droit considère comme combattant les membres des forces armées régulières. Mais peuvent aussi avoir ce statut des milices, des corps volontaires ou des mouvements de résistance s’ils remplissent certaines conditions : avoir des responsables, des signes distinctifs qui permettent de les identifier, de porter ouvertement les armes mais aussi de se conformer dans les opérations aux lois et aux coutumes de la guerre. Cette dernière condition peut soulever des questions et pourrait être invoquée par Israël pour ne pas considérer le Hamas comme combattant.
Qu’est-ce que cela change ?
En refusant la qualité de combattant au Hamas, Israël pourrait considérer qu’il peut contourner le droit humanitaire. Cela créerait des zones de non-droit. Le droit des conflits armés pose des règles protectrices, notamment sur la façon dont les prisonniers doivent être traités ou sur la possibilité de visites de certaines organisations comme la Croix-Rouge. La question s’était posée pour les prisonniers taliban de la guerre d’Afghanistan : devait-on les considérer comme des combattants et donc se soumettre au droit humanitaire ? Les États-Unis ont estimé que non, en créant pour les taliban la catégorie de « combattant illégal », qui est très controversée et non conforme au droit international. Concrètement, cela a rendu possible le camp de Guantanamo.
“Certains cherchent à instrumentaliser la qualification de terroriste, afin de restreindre le champ d’application du droit humanitaire”
Donc il suffit de considérer un groupe comme terroriste pour se soustraire aux obligations du droit humanitaire ?
En principe, non. D’abord, en temps de guerre, les conventions de droits de l’homme sont applicables aux terroristes. Ensuite, s’agissant du droit des conflits proprement dit, en 1977, on a élargi la définition du combattant en incluant tous les individus qui participent aux hostilités. La difficulté est qu’Israël est Partie aux Conventions de Genève de 1949, mais pas à ce traité de 1977 qui a élargi la définition du combattant ; la Palestine, en revanche, est membre de cet instrument de 1977. Israël a même repris dans son droit interne l’expression de « combattant illégal », inventée par les États-Unis, pour désigner le Hamas, notion critiquée aujourd’hui par la plupart des juristes. Le but pourrait être de restreindre le champ d’application du droit humanitaire en instrumentalisant la qualification de terroriste. Et ce, à rebours de la doctrine actuelle qui admet désormais que semer la terreur parmi la population est une technique de guerre interdite mais qu’elle ne vous enlève pas votre statut de combattant.
“Le fondement du droit humanitaire, c’est justement d’éviter les escalades et la logique de la vengeance”
Qui considère le Hamas comme terroriste aujourd’hui ?
C’est le cas de l’Union européenne. Pour les Nations unies, c’est plus compliqué – notamment parce qu’il est difficile d’obtenir des positions communes sur le sujet au sein du Conseil de sécurité, où chaque État permanent a un droit de veto. Personnellement, je partage le point de vue du Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies. Le Hamas est une organisation terroriste et se trouve formée de combattants, qui peuvent commettre des crimes de guerre. Mais Israël doit aussi respecter le droit humanitaire dans ses opérations. La population civile palestinienne n’est pas comptable des actions du Hamas et n’a pas à en pâtir. Le fondement du droit humanitaire, c’est justement d’éviter les escalades et la logique de la vengeance. Son but est de tempérer les ardeurs guerrières dans les moments les plus difficiles.
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