Soyez vigilant.e avec Macron
Emmanuel Macron a rendu hommage aux victimes de l’attentat survenu à la Préfecture de police de Paris, mardi. Dans son discours, le président a appelé à la mobilisation de “la nation toute entière” contre “l’hydre islamiste”, invitant à “une société de vigilance. Voilà ce qu’il nous revient de bâtir. Savoir repérer au travail, à l’école, les relâchements, les déviations.”
Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État plaide pour une “société de vigilance”. Dans un discours tenu le 23 mai 2018, à propos de la politique de la ville, il affirmait déjà : “Tout le monde est acteur de la protection collective. Quand on refuse de mettre un terme aux violences dans son quartier, on en devient en quelque sorte complice. Nous devons construire une société de la vigilance dans tous les quartiers.” Son évocation répétée s’inscrit dans la longue histoire de l’idée de surveillance.
De la surveillance à la sousveillance
Au XVIIIe siècle, le philosophe utilitariste Jeremy Bentham (1748-1832) imagine ainsi un dispositif de surveillance, notamment pour les prisons : le panopticon, conçu comme une architecture circulaire au centre de laquelle le gardien voit sans être vu, si bien que chacun se sait pouvoir être observé à tout moment sans savoir quand.
Reprenant le modèle de Bentham, Michel Foucault (1926-1984) l’emploie, dans Surveiller et Punir, comme modèle explicatif de la société. Il s’intéresse à l’émergence de la “société disciplinaire”, qui institue le contrôle et la normalisation du comportement des individus, et dont la création des établissements pénitentiaires au XIXe siècle est un symptôme.
Gilles Deleuze (1925-1995) poursuit et va plus loin. À la société disciplinaire diagnostiquée par Foucault, qui repose sur des “milieux d’enfermement” , il préfère la notion de “société de contrôle”. Car à l’ère numérique, le pouvoir exerce son emprise sur les individus de façon continue, via des dispositifs présentés comme de “ nouvelles libertés ”.
Aujourd’hui, certains, comme le spécialiste d’informatique et de cybernétique Steve Mann et le philosophe Jean-Gabriel Ganascia, évoquent le passage de la “surveillance” à la “sousveillance”, une décentralisation des moyens de surveillance, avec l’essor d’Internet, qui brise le monopole de l’information et invite les individus à se surveiller les uns les autres.
Quelle place prend donc la société de vigilance dans cette histoire ? Comme si Emmanuel Macron constatait l’échec du contrôle numérique, il réintroduit la surveillance dans l’espace public, mais sans tour de contrôle. La vigilance, donc : un curieux syncrétisme des pensées, invitant à la “sousveillance” de tous et par tous. Au nom de la liberté.
Lire notre dossier (octobre 2019) : “Bienvenue dans la société de contrôle” ☛
Dans Surveiller et Punir, Foucault consacre de longues pages à un dispositif inventé au XVIIIe siècle par le philosophe utilitariste britannique Jeremy Bentham, le panoptique. Il en fait le modèle des mécanismes modernes de…
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