“Simon Hantaï (1922-2008)” : pensons sous le pli

Le peintre Simon Hantaï affirme « peindre pour Dieu ». Figure majeure de l’abstraction connue pour ses pliages, il recherche en effet une forme de transcendance, traquant les modalités d’apparition du monde et des phénomènes. La Fondation Louis-Vuitton présente une sélection de ses œuvres, dont certaines issues de ses collections, depuis son émigration en France et son rapprochement avec les surréalistes dans les années 1950 jusqu’à son retrait volontaire du monde de l’art dans les années 1980 et sa mort en 2008. Elle expose notamment des toiles peintes durant cette retraite, tirées de son fonds d’atelier et jamais montrées, témoignant de l’ambition d’un artiste hanté par une inquiétude spirituelle : la quête d’un infini dans l’expérience de la banalité, dans la « nullité » du geste, dans la simple matérialité de la peinture a priori inesthétique. Car Simon Hantaï ne peint pas pour faire beau. C’est ainsi qu’il invente « le pliage comme méthode » : il débute ses expérimentations avec les « Mariales », des toiles pliées et enduites de couleur, de telle sorte qu’il peint à l’aveugle, sans vision d’ensemble d’une toile qu’il dépliera ensuite. Il les poursuit avec la série des « Catamurons », qui laissent une place aux effets optiques en ménageant des marges blanches, et celle des « Panses », dont les formes ovoïdales évoquent des cellules. « Quand je plie, je suis objectif et cela me permet de me perdre », dit Simon Hantaï. Il affirme même pouvoir peindre « les bras coupés, les yeux fermés », laissant toute sa place au hasard, rejetant toute idée de génie, prétendant au contraire être un « artiste sans qualités ». Il cherche à « vaincre le privilège du talent », ramenant l’artiste au rôle d’exécutant d’une œuvre qui se fait. Sa qualité de coloriste se manifeste cependant dans les séries des « Meuns », qui l’apparentent à Matisse. Les dernières années de sa vie d’artiste sont enfin dédiées à la réalisation de « Tabulas », d’immenses toiles pliées et nouées afin de réaliser un quadrillage coloré ; elles évoquent explicitement le souvenir du tablier de sa mère au motif identique. Il enserre ses souvenirs dans les plis de la toile. Comme le montre l’une des dernières salles de l’exposition, qui reconstitue en partie son atelier, Simon Hantaï accumule chez lui autant de toiles que de livres, posés à terre, en petits tas regroupés par auteurs. Il correspond avec des amis philosophes et les lit, notamment Jean-Luc Nancy qui choisit pour titre de leurs échanges épistolaires : Jamais le mot créateur (Galilée, 2013), mais aussi Barthes, Derrida ou Deleuze, eux-mêmes penseurs du pli.