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Répétition générale

Ariane Nicolas publié le 13 janvier 2023 4 min

Subir une anesthésie générale n’est jamais une expérience banale. Dans notre lettre du jour, Ariane Nicolas en fait même une traversée métaphysique : une confrontation avec l’idée de la mort et la manière dont celle-ci influence notre vie. Récit.

 

« Avez-vous déjà vécu une anesthésie générale ? J’y ai eu droit la semaine dernière, dans le cadre d’une opération chirurgicale. Afin de rendre cet événement un peu divertissant, j’ai tenté une expérience mentale : rester alerte le plus longtemps possible au moment de l’endormissement dans l’espoir de me souvenir, au réveil, du fatidique moment de bascule. Je comptais par là mieux comprendre, à un modeste niveau, le mécanisme de la conscience. J’ai découvert bien plus que cela.

Me voici donc sur le brancard, enroulée dans une toile de papier violet avec un tuyau dans le bras. “Vous allez sentir un peu de chaleur dans le corps, c’est normal”, m’annonce l’anesthésiste d’une voix de prof de yoga. “Détendez-vous, relâchez les muscles de votre visage, voilà, respirez bien, les épaules sont décontractées…” Ce qu’elle ignore à ce moment, c’est que je force mon esprit à consigner tout ce qui se passe autour de moi, telle une caméra qui garde son œil grand ouvert. Le néon au plafond mesure un mètre de long, la médecin a les yeux bleus, trois personnes s’affairent dans la salle. Je suis aux aguets comme jamais.

Souviens-toi de tout, Ariane ! me dis-je intérieurement. Grâce à l’anesthésie, tu vas t’endormir et te réveiller en même temps. Clac ! Comme dans un film, tu vas juste passer d’une image à une autre. Pas d’engourdissement ni de secousses hypniques comme à la maison. Un saut temporel à l’état pur. Et c’est pour dans trois secondes, ou peut-être une demi-seconde, tiens ça chauffe c’est vrai, oh merveille, tu vas voyager dans le temps, perdre une heure de ta vie sans avoir jamais eu conscience de fermer les yeux, puisqu’ils sont encore ouverts, tu luttes bravement, c’est bien, encore un effort, il est 13h47, le réveil est pour maintenant, maintenant, maintenant…

Et je me suis endormie. J’aimerais vous confier avoir ressenti ce passage de la veille à la veille en un claquement de doigts, comme si je m’étais téléportée d’un monde à un autre, sans ellipse. Or si je peux décrire avec précision la dernière image observée à 13h47, d’une netteté parfaite, j’ai au contraire le souvenir d’un réveil lourd, et l’intuition d’un creux existentiel dont je ne garde aucune trace mais qui me paraît avoir eu lieu, sans que j’en aie conscience. La salle et le personnel sont différents, on a manipulé mon corps, quelque chose s’est passé. Je n’ai aucun souvenir de ce néant qui n’est rien pour moi, et pourtant… ce néant existe forcément quelque part, ou pour quelqu’un ! Seulement, il ne représente rien pour moi.

Finalement, mon expérience ne m’a pas renseignée plus que cela sur la nature de la conscience, puisque je me suis réveillée comme n’importe quel jour : dans le pâté. En revanche, je crois que l’anesthésie m’a donné un aperçu plus précis de ce que pourrait être l’idée de la mort. Ce dernier instant à 13h47, cette extinction soudaine de mon Moi, limpide, vivace, c’est un peu comme si j’avais trépassé... et que je m’étais miraculeusement réveillée. Ainsi, les épicuriens ont raison : la mort n’est rien pour nous. Elle n’est pas mystérieuse ni inconnaissable, elle n’existe tout bonnement pas. La vie n’est l’antichambre de rien. On meurt, mais ne pouvant par définition jamais avoir conscience de notre propre mort, on ne meurt jamais vraiment… de sorte que l’on ne peut que vivre. Pour le sujet, il est éternellement 13h47.

Cette idée aussi vertigineuse que rassurante, Levinas la déploie dans son livre Le Temps et l’Autre. Contre une certaine tradition philosophique, qui attribue à la mort un rôle moteur dans notre existence, il écrit : “L’angoisse, d’après Heidegger, est l’expérience du néant. N’est-elle pas, au contraire – si par mort on entend néant –, le fait qu’il est impossible de mourir ?” L’être est “sans limite” et la vie, semblable à une interminable insomnie. Levinas fait de la pièce Hamlet, de Shakespeare, la méditation suprême sur cette éternité qui nous rive au monde. “’To be or not to be’ est une prise de conscience de cette impossibilité de s’anéantir.” Pour prolonger la métaphore théâtrale, je dirais que mon anesthésie a été comme la répétition générale du seul moment dont il me sera totalement impossible de me souvenir au réveil, car je ne me réveillerai pas. Qu’il est tranquillisant, tout de même, d’être condamnée à l’éternité ! »

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