L’œil de Carl Schmitt

Refuser le conflit, un non-sens politique

publié le 3 min

« Emmanuel Macron est un hyperaffectif. Dans Révolution, il s’étend sur “la tendresse, la con­fiance” qui ont bercé son en­fance et conclut, fleur bleue : “on ne fait rien de bien sans amour”. Dans ses discours, il n’hésite pas à clamer sa passion pour le public ou ses proches. Le soir du premier tour de la présidentielle française, il fait scander le prénom de son épouse : “Brigitte ! Brigitte !” Ce style intime révèle le fond, pro­blématique, de la vision du monde de son auteur.

« Que combat ce preux chevalier ? Un ennemi ? Non : l’inimitié même »

Dans la Notion de politique [1927, 1932], je montre que la politique, en tant que champ spécifique, dis­tinct de celui de la morale, des sen­timents, de l’esthétique, du droit ou de l’économie, ne peut fonctionner qu’à partir d’un couple opposé : l’ami et l’ennemi. Il s’agit d’une tension structurante, qui ne signifie pas que l’ennemi soit mauvais du point de vue moral, laid du point de vue esthétique, haïs­sable du point de vue passionnel. Simplement, pour emmener son peuple dans une direction définie, pour le rassembler, lui permettre de se définir comme communauté, il est indis­pen­sable de désigner un autre auquel on s’op­pose. Le cas échéant “une planète définitivement pacifiée serait un monde sans discrimination de l’ami et de l’ennemi et par conséquent un monde sans poli­tique”. Or que fait M. Macron ? Lors de son discours de premier tour, il commence par faire applaudir ses adversaires. Il ajoute : “Merci de les avoir tous applaudis. Cela vous ressemble. Cela nous ressemble. Comme il l’affirme, le “défi n’est pas d’aller voter contre qui que ce soit”, même pas le FN. Cette tactique, dissimulée sous un vernis postmoderne de “bienveillance, a d’ailleurs fragilisé sa campagne de second tour. On ne mène pas une campagne en aimant tout le monde. Mais cela lui ressemble. Avec son “en même temps”, il incarne une dépo­litisation de la politique. Acceptant pleinement la mondia­lisation, il exalte un monde sans dehors. Certes, il aime se présenter en “guer­rier” et vante “l’esprit de conquête”. Mais que combat ce preux chevalier ? Un ennemi ? Non : l’inimitié même. “Je me battrai contre les divisions qui nous minent”, clame-t-il le soir de sa victoire. Et le jour de son intronisation, il formule la tâche principale qu’il se donne : “J’aurai […] la volonté constante de réconcilier et de rassembler l’ensemble des Fran­çais.” Mais il n’admet pas d’ennemis réels. Face au FN, il ne veut pas croiser le fer mais provoquer la disparition de l’ennemi, faute de raisons d’exister : “Je ferai tout dans les cinq années qui viennent pour que [les Français] n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes”, assure-t-il. S’il admet que les terroristes sont un ennemi, il considère d’abord les djiha­distes comme des personnes qui ont “dévié”. Or nous avons, concède-t-il, une “part de res­pon­sabilité” dans la création du “terreau” sur lequel le fanatisme a prospéré. Là encore, une politique juste entraînera l’éva­poration de l’adversaire.

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